INTERVENTION DE GERARD VOIDE

C'est l'histoire d'une lutte de 14 ans, et qui continue, contre l'ancienne usine du CMMP (broyage de minerai d'amiante) installée en plein centre ville et qui a pollué l'atmosphère de la ville d'Aulnay durant 40 ans, en toute impunité.

En 1938, le préfet laisse s'installer l'usine classée insalubre et dangeruse à 60 mètres d'une école, à côté de commerces, de pavillons d'habitation, d'un maraîcher et malgré la protestation des riverains qui feront une pétition de 107 signatures. Il agit en pleine connaissance de cause, la dangerosité de l'amiante est connue depuis 1905. La preuve, l'arrêté d'autorisation d'ouverture qui précise : "les ateliers d'amiante devront être parfaitement étanches, aucune poussière ne doit s'en échapper". L'usine va broyer des milliers de tonnes d'amiante bleu, le plus toxique, pour les sous-marins de l'armée puis, plus tard, du zircon radio-actif destiné aux centrales nucléaires. Les ateliers ne seront jamais étanches, la poussière se répandra en grande quantité tout autour dans le quartier : 5 mm de poussière sur les tombes du cimetière voisin, chez les commerçants, dans la cour de l'école, dans les jardins des pavillons, sur les cultures du maraîchrs quivend ses légumes au marché, et jusqu'à 160 mètres à l'intérieur des maisons. Dans l'usine, c'est le moyen âge. A 6 mètres les ouvriers ne se reconnaissnt pas entre eux tant la poussière est en suspension dans l'air.

Le CMMP a violé la loi sur les poussières industrielles et l'obligation de capter les poussières à la source. Les ouvriers sont nord Africains et d'autant plus dociles durant la guerre d'Algérie où l'usine tourne à plein. La CRAM (Caisse régionale d'assurance maladie) intervient mais, malgré les injonctions, les poussières ne seront pas retenues, pas de protection des ouvriers, pas d'information sur la toxicité de l'amiante et du zircon.

Les riverains, eux, n'ont jamais cessé de protester : lettres, pétitions, souvent relayées par les élus locaux qui interviennent en Préfecture. Le CMMP ne sera jamais inquiété ! L'usine finit par fermer en 1991 devant les protestations des riverains.le CMMP laisse le site à l'abandon ouvert aux 4 vents, les enfants en font leur terrain de jeux. Une épaisse couche de poussière recouvre le sol et lorsque l'on marche, ça s'envole comme de la farine.

En 1995, Pierre Léonard, mon beau-frère, tombe malade : mésothéliome, maladie typique de l'amiante. Il décèdera un an plus tard. La famille habite à 70 mètres de l'usine. Les 3 enfants ont fréquenté l'école à 60 mètres. La soeur aînée décèdera quelques années après d'un cancer de la moëlle osseuse dont on soupçonne le zircon radio-actif. L'autre soeur, Nicole, mon épouse, a des plaques pleurales témoin d'une exposition à l'amiante.

Nous recherchons avec Nicole, auprès de autorités, les causes de la maladie de Pierrot. Le scandale de l'amiante éclate cette année là, les médias en parlent. S'en suivent 5 ans d'enquête avec Nicole pour connaître Pierrot a pu être contaminé. Les anciens du quartier nous disent : "il y avait une usine dans le quartier, on l'appelait l'usine d'amiante". On se heurte, alors, aux mensonges :

mensonge de l'industriel qui prétend ne pas avoir broyé de l'amiante après la guerre

mensonge de la préfecture qui dit la même chose alors qu'il possède un dossier accablant

le Maire est plus subtil "ils ont fabriqué du silice et de l'oxyde de fer" ; très malin puisque le silice et l'oxyde de fer rentrent dans la composition de l'amiante ; le signataire sait de quoi il parle, il est géologue.

Refus du Préfet de nous laisser consulter le dossier. Refus du Maire mais nous arrachons quelques informations par ruse et par chance. Puis, sur notre insistance, nous sommes autorisés enfin à consulter le dossier en Préfecture mais, interdiction de faire des photocopies, ce qui est parfaitement contraire à la loi.

Nous consultons aux archives municipales les compte-rendus du Conseil Municipal, très instructifs. A l'Inspection du Travail, le dossier s'est perdu ! Chez les pompiers aussi ! Heureusement, il y a les archives du journal Le Parisien !

Nous adhérons à Ban Asbestos France. Son président Patrick Herman et ses amis scientifiques Henri Pezerat et Annie Thébaud-Mony nous aident, nous conseillent, nous encouragent.

La famille porte plainte au pénal avec maître Teissonnière.

Nous découvrons la loi du 17 Juillet 1978 relative aux relations entre les citoyens et leurs administrations. Alors Maire et Préfet sont obligés d'ouvrir leur dossier. Nous faisons 350 photocopies accablantes : le CMMP a broyé de l'amiant officiellement jusqu'en 1975 et certainement jusqu'en 1986 et peut-être même au-delà.

En 2000, la plainte est acceptée, un juge d'instruction est nommé. Actuellement, l'instruction est toujours en cours, l'enquête dure donc depuis 12 ans. Une juge d'instruction met néanmoins en examen l'entreprise CMMP en tant que personne morale mais le Parquet intervient et annule la mise en examen. "Selon que vous serez puissant ou misérable" disait Monsieur de la Fontaine "les jugements de cour vous rendrons blanc ou noir !..."

Nous réalisons que le cas de Pierre Léonard ne doit pas être le seul. Après quelques hésitations, nous organisons Nicole et moi une réunion publique en distribuant 3500 tracts dans les boîtes aux lettres du quartier. On s'attend à quelques personnes autour d'une table mais c'est plus de 100 personnes qui se pressent dans la salle. Beaucoup d'émotion, les premiers malades se font connaître. On dénombre aujourd'hui 85 malades recensés par les associations dont la moitié sont des riverains dont le seul tort est d'avoir habité à proximité de l'usine. Un bon tiers sont des anciens travailleurs de l'usine. Ce bilan n'est que la face visible de l'iceberg, c'est une véritable catastrophe sanitaire dont il s'agit. 50 de cesx malads sont décédés.

La lutte va devenir collective. Durant 9 ans, les réunions publiques, les motions, les pétitions vont se succéder avec l'appui des élus locaux, départementaux et régionaux et le soutien officiel du Conseil Général du 93. Les autorités jouent l'essouflement, c'est le contraire qui va se passer : elles vont se heurter bientôt à 6 associations : le collectif des riverains et victimes du CMMP, Ban Asbestos France, Addéva 93, les parents d'élèves FCPE et LIPE, Aulnay Environnement. 9 ans de luttes ininterrompues, d'interpellation pour des choses élémentaires que les autorités persistent à ignorer :

- fermer le site archi-pollué ouvert aux quatre vents et mitoyen de l'école

- faire les études de pollution complémentaires notamment dans le sol, le sous-sol et sur la radio-activité

- rechercher les malades autour de l'usine.

Le site finira par être clos, les bâtiments passoires tant bien que malcolmatés. Enfin, en 2007, on obtient, non sans mal, et après avoir déjoué une tentative d'instrumentalisation et les obstructions du Préfet, une étude de l'IVS (Institut de Veille Sanitaire) prouvant officiellement et scientifiquement que la pollution du CMMP est responsable de malades notamment autour de l'usine. C'est une première en France.

Il reste à rechercher les victimes, toutes les victimes passées, présentes et à venir de cette catastrophe sanitaire. Henri Pezerat, qui savait de quoi il parlait, disait : "quand tu veux obtenir quelque chose des autorités, tu poses le problème et tu amènes aussi la solution !". La solution, on l'a amenée : la liste des élèves exposés on l'a, il faut la croiser avec le fichier de la sécurité sociale. C'est possible administrativement et techniquement. Cela s'est déjà fait. Il faut obtenir le signalement obligatoire, par les médecins, de tous les nouveaux cas. C'est une procédure de signalement connue et pratiquée.

2005 - 2008 = 4 ans de bataille contre les autoités pour :

- faire reconnaître la pollution du site niée par le pollueur qui multiplie les procédures en justice contre Maire, Préfet et même l'Inpection du Travail

- faire reconnaître la dégradation du site pollué qui menace les écoliers, voisins et passants

- imposer un chantier de désamiantage sous confinement, et non à ciel ouvert comme le veut le pollueur à moindre frais avec l'assentiment du Préfet et en contradiction d'avec la loi.

Les associations vont réussir à :

- geler le permis de démolir

- arrêter le chantier commencé illégalement

- faire déménager l'école mitoyenne menacée par le site$

- obtenir les études Véritas démontrant l'étendue de la pollution.

Dans toute cette histoire, les autorités ont été lamentables, n'écoutant que le polluur. Il a fallutransmettre le dossier, les informations à (je retiens mon souffle) : Préfet, Maire, STIIIC, Inspection du Travail, CRAMIF, DDASS, InVS, Ministères de la Santé, du Travail et de l'Ecologie, enfin BRGM et ADEME. Ces deux derniers organismes se sont discrédités en produisant une pseudo étude sans consulter les documents de base et acceptant le chantie à ciel ouvert.

Après avoir nié le danger, la pollution et les malades, Préfet et Maire se sont ravisés tout en minimisant : on tergiverse, on reçoit les associations, entrecoupé de longs silences, de promesses non tenues. On refuse de transmettre l'étude d'expert défavorable au pollueur la qualifiant d'alarmiste . Finalement le Préfet déclare son impuissance après 7 arrêtés préfectoraux restés sans suite et devant le chantage au dépôt de bilan et aux licenciements des ouvriers du CMMP basés à Saint Quentin. Comment qualifier ce comportement sinon de complaisant pour ne pas dire plus !

N'est-on pas en droit d'attendre d'un préfet et d'un maire de faire respecter la loi et de défendre la santé et la sécurité publique ? Sans notre intervention, ce site archi-pollué aurait été démoli à ciel ouvert contaminant un fois de plus tout le quartier.

Fin 2008, la situation est bloquée. Le Préfet refuse toujours de mettre le pollueur en demeure. Le déplacement de l'école dans une école provisoire s'élève à 4.5 millions d'euros, presque le prix du chantier de 5 millions, aux frais du contribuable aulnaysien. Devant cette situation, la nouvelle municipalité rachète le terrain et décide de faire exécuter les travaux à ses frais, espérant se retourner en justice ensuite contre le pollueur. Il y a donc de très fortes chances que le pollueur ne sera pas le payeur.

L'opération est lancée. Le désamiantage est prévu sous confinement total, sous bulle en dépression atmosphérique telle que nous le demandions et conformément à la loi. On a gagné. Les associations sont invitées à participer à l'élaboration du plan de retrait amiante et à la méthodologie de la démolition. C'est une première en France. On croise les doigts, on a hâte que le chantier commence. On restera vigilants.

La morale de cette histoire, c'est que rien ne se serait passé si nous étions restés seuls avec Nicole. La maillonnaise a réussi grâce à la rencontre avec les scientifiques, c'est-à-dire la rencontre de l'action et du savoir, la rencontre avec les associations anti-amiante avec lesquelles on a appris, la rencontre avec les associations de la société civile, les parents d'élèves, Aulnay Environnement, les élus locaux, départementaux, régionaux, l'appui du Conseil Général du 93.

En toute indépendance, nous sommes un mouvemnt citoyen. C'est notre richesse et notre force. Mais, tout ce que l'on a appris, nous, simples citoyens, c'est grâce à l'action. C'est dans l'action et l'action collective que l'on apprend. Alors, nous sommes devenus crédibles. Les autorités nous ont même reconnues comme "sachants".