"La
ballade du Clemenceau"
Transfert de risque vers les pays
en développement
L'exemple du
démantèlement des navires en fin de
vie
Annie Thébaud-Mony et Henri
Pezerat
European Asbestos Conference :
Policy, Status and Human Rights
Parlement Européen,
Bruxelles, 22/23 septembre 2005
Le porte-avions
CLEMENCEAU, mis à flots en 1957, a
été désarmé en 1997. Comme
dans tous les navires de cette époque, l'amiante
est partout : des parois du navire aux salles de machine
en passant par l'isolation de l'ensemble des structures.
L'amiante contenu dans le Clemenceau relève de la
réglementation française, européenne
et internationale sur la gestion et l'exportation des
déchets.
Je vais tout d'abord
résumer l'histoire du Clemenceau avant de
présenter les enjeux des procédures
judiciaires engagée par Ban Asbestos pour que soit
respectée une exigence fondamentale des
réglementations en vigueur (Convention de
Bâle, Règlement européen sur
l'environnement). Cette règle est la suivante :
chaque pays doit gérer ses propres déchets.
Le démantèlement des navires - qui comporte
une part importante de gestion des déchets en
particulier le désamiantage - doit être fait
dans le pays d'origine de ces navires.
2003
Un tour en
Méditerranée à la recherche d'un
chantier de désamiantage peu regardant sur la
réglementation
Le Clemenceau a une
première fois été vendu, en 2003,
à une société espagnole qui a
tenté - au mépris du contrat avec l'Etat
français - de procéder aux
opérations de désamiantage en Turquie,
où la réglementation en matière de
désamiantage est plus souple, ce qui a conduit le
Gouvernement français à résilier le
contrat et à remorquer le navire vers son ancien
port d'attache, le port de Toulon.
2004
Une multinationale de l'acier
-Thyssen - s'intéresse à la coque de
l'ex-porte avion Clemenceau
Un contrat de
désamiantage et de démantèlement de
la coque du navire a été signé le 23
juin 2004 entre l'Etat et le consortium étranger
Ship Decomissionning Industries Corporation (SDI),
filiale du groupe allemand Thyssen : une partie du
désamiantage doit être effectuée en
France, dans le cadre d'un contrat de sous-traitance. Au
terme de cette première phase de
désamiantage, il est prévu d'acheminer le
navire en Inde afin d'y procéder au
désamiantage du reliquat d'amiante puis au
démantèlement du navire.
2005
Ban Asbestos interroge le
Ministère de la Défense
Des opérations de
désamiantage partiel du Clemenceau se
déroulent donc en France à Toulon, entre
novembre 2004 et mars 2005. Par courrier en date du 1er
février 2005, le Directeur adjoint du cabinet
civil et militaire du Ministère de la
Défense apporte des précisions au
Président de l'association BAN ASBESTOS FRANCE sur
les prétendues conditions du désamiantage
du porte-avions CLEMENCEAU dans les termes suivants :
" le désamiantage réalisé dans
le port militaire de Toulon comprend le retrait de
l'amiante visible et directement accessible sans travaux
de découpe ou de déconstruction portant
atteinte à l'intégrité du navire. Il
est en effet nécessaire de préserver la
structure du navire pour permettre son exportation vers
un chantier de démolition. Dans la pratique, 90%
de l'amiante sera enlevé, le reliquat, environ 22
tonnes, sera traité en Inde par la
société Luthra Group sous l'encadrement de
la société française Technopure,
responsable du désamiantage à Toulon
"
Le
Ministère reconnaît ainsi le projet
d'exporter en Inde le navire partiellement
désamianté et qui contiendra encore au
minimum 22 tonnes d'amiante, au mépris de la
santé des travailleurs qui seraient chargés
du désamiantage en Inde et de la
réglementation internationale sur l'exportation
des déchets.
Un désamiantage
partiel et sommaire : Ban Asbestos-France engage une
procédure judiciaire contre l'Etat et SDI
Un article de Eliane
PATRIARCA paru dans le Journal LIBERATION en date du 15
Mars 2005 indique :
" Le contrat passé par l'Etat en Juin
dernier avec la société allemande SDI
prévoit un désamiantage partiel du navire
à TOULON effectué par le sous-traitant
TECHNOPURE."
Un sous-traitant qui se
pose aujourd'hui beaucoup de questions :
- D'abord sur le tonnage d'amiante contenu dans le
navire. Selon SDI, le CLEMENCEAU contenait 220 tonnes
d'amiante, dont 90 % devaient être retirés
à TOULON et 10 %, soit 22 tonnes en Inde. Mais
TECHNOPURE affirme n'avoir enlevé que " 75
à 80 tonnes d'amiante, plus 180 tonnes de
ferraille contaminée ". " Nous avons dû
travailler sans savoir combien d'amiante contenait
exactement le bateau, déplore TECHNOPURE, car il
n'y a jamais eu de diagnostic amiante fait sur le
CLEMENCEAU. " L'entreprise affirme qu'elle aurait pu en
retirer beaucoup plus si SDI l'avait voulu
et avait
accepté d'en payer le prix. " Dans ces bateaux
tous les sols sont amiantés. Pour le CLEM et ses
30.000 m2 au sol, cela représente quelques 180
tonnes ! " Or le contrat avec SDI excluait toute
intervention sur les sols qui n'aurait pas
empêché le bateau de prendre la mer.
- Deuxième interrogation : la formation au
désamiantage du personnel indien. Au
Ministère de la Défense, comme chez SDI, on
explique que la fin du CLEM représente un projet
pilote, pionnier pour la création en Inde d'une
filière propre de dépollution et de
démantèlement conforme aux normes
occidentales. Selon leurs avocats, " les sous-traitants
indiens choisis sont certifiés ISO 9001 (gestion)
14001 (environnement) et 18001 (prévention,
hygiène et sécurité). " " C'est la
première fois qu'on porte en Inde autant
d'attention à toutes ces normes ", ont-ils
assuré, louant le " transfert de technologies "
entre la France et l'Inde. Selon SDI, des
représentants de la société indienne
devaient venir en FRANCE se familiariser avec le chantier
de désamiantage à TOULON, TECHNOPURE et SDI
assurant ensuite le contrôle des travaux en Inde.
Un scénario idéal de coopération
Nord-Sud, dont le Ministère de la Défense
se portait garant devant les associations plaignantes, le
mois dernier par courrier. Mais le 15 Février
dernier, la fin du chantier approchant, la
Société TECHNOPURE a
préféré dénoncer la clause du
contrat la liant à SDI dans laquelle elle
s'engageait à informer et familiariser les
représentants des sociétés
indiennes. " Nous avions demandé, dans notre
contrat, à recevoir les salariés indiens
par groupe de cinq durant un mois et demi pour une
formation efficace. Mais nous n'avons jamais vu aucun
représentant indien sur le chantier ", regrette
TECHNOPURE. L'entreprise devait aussi, par contrat,
laisser du matériel de désamiantage
à bord à destination du personnel indien :
masques, combinaisons jetables,
déprimogènes
" Personne ne nous a dit
pour combien de travailleurs, déplore TECHNOPURE
qui affirme n'avoir pu obtenir de plan de travail pour la
dépollution en Inde.Cette
légèreté de SDI nous a
poussés à dire stop. Dans ces conditions,
nous n'étions pas en mesure de respecter nos
engagements. "
TECHNOPURE vient
d'achever son chantier de désamiantage
entamé en Novembre et va restituer le navire
à l'Etat cette semaine. Mais se dit incapable
d'affirmer combien il reste d'amiante à bord,
laissant entendre qu'il s'agit de bien plus de 22
tonnes.
Dans un article paru le
lendemain, TECHNOPURE affirme que " seul l'amiante
friable qui se trouvait dans le compartiment machines et
les deux catapultes a été retiré
".
Il apparaît donc,
selon les déclarations du sous-traitant TECHNOPURE
effectuées au Journal LIBERATION, que les
écritures déposées par l'Etat
Français devant le Président du Tribunal de
Grande Instance de PARIS sont contraires à la
vérité.
En particulier 30.000 m2
de sol qui auraient pu faire l'objet d'un
désamiantage sans compromettre la
navigabilité du bâtiment n'ont pas
été traités. L'indication selon
laquelle 22 tonnes d'amiante resteraient en place sur
l'ancien porte-avion, ne correspond pas à la
réalité.
L'affirmation de l'Etat
Français selon laquelle : " le sous-traitant
indien bénéficie d'un transfert de
technologie, ses salariés étant
formés à TOULON sur le navire, et de
rapport d'expertise sur l'amiante enlevé sur les
secteurs où il en subsiste. ", correspond
également à une fausse déclaration
de l'Etat, puisque aucun salarié indien n'a
été formé par TECHNOPURE qui a
dû sur ce plan dénoncer la clause du contrat
la liant à SDI, les déclarations de la
société TECHNOPURE dans le journal
LIBERATION ne permettant pas de savoir si l'Etat a
été informé de la défaillance
de SDI dans ce domaine.
Si l'on ne pouvait
imposer que la coque de l'ex porte-avions
Clémenceau soit désamiantée et
démantelée en France, elle serait
remorquée vers la baie d'Alang en Inde pour y
être vendue à l'état de ferraille.
C'est dans la Baie d'Alang que serait
réalisée la fin du désaiantage et le
démantèlement du navire.
Qu'en est-il des
chantiers de la baie d'Alang ?
un Bhopal à
petits feux
Plusieurs enquêtes
- en particulier celles de Greenpeace International en
1998, 2000 et 2002 - ont révélé la
réalité d'une plage d'une dizaine de km de
long où viennent s'échouer, poussés
par des marée dont les amplitudes sont parmi les
plus fortes du monde, des centaines de navires venant du
monde entier. Entre mai 2001 et mai 2002, 264
bâtiments ont été ainsi vendus aux
ferrailleurs indiens, les plus importants chantiers
occupant la baie d'Alang. Aujourd'hui avec plus de trois
cents navires démolis chaque année, Alang
est le plus grand cimetière de navires du
monde.
La plage d'Alang est
divisée en 184 parcelles, dont la plupart n'ont
qu'une trentaine de mètres de large. Ces parcelles
sont réparties entre une centaine d'entreprises.
Entre 25.000 et 40.000 personnes, selon les
périodes, y travaillent, les plus jeunes ayant
à peine 17 ans, toutes pataugeant dans une boue
extrêmement polluée. Les femmes transportent
sur leurs têtes tous les objets les moins lourds,
extraits des épaves (y compris des déchets
d'amiante). Les hommes - une multitude - sont
occupés à dépecer les navires au
chalumeau et à traîner par groupes de dix ou
vingt, tôles, poutrelles et toutes pièces
métalliques accrochées à de longs
câbles. D'autres, toujours en groupe, transportent
ces pièces sur leurs épaules. D'autres
encore, sur la plage constamment enfumée
brûlent les huiles et tous les déchets non
susceptibles de revente. Seules, de temps à autre,
apparaissent de petites grues, l'étroitesse des
parcelles empêchant toute mécanisation des
opérations. Les équipements de protection
individuelle et collective sont quasiment inexistants.
Tout au plus des casques ont été fournis.
De temps à autre, un foulard masque le nez et la
bouche du travailleur, la découpe de la coque au
chalumeau s'effectuant sans masque et le plus souvent
sans lunettes. Les accidents du travail sont quotidiens,
y compris ceux provoqués par des explosions et
incendies quand la flamme des chalumeaux touchent des
poches de gaz, d'huile ou de carburant. Officiellement on
dénombre un trentaine de décès
chaque année, mais ce chiffre n'inclut pas tous
ceux qui meurent de maladie. Il est donc largement
sous-estimé.
L'ensemble des chantiers
apparaît comme une immense fourmilière, de
surcroît en été transformée en
une fournaise où la température atteint
aisément les 50°C, ce qui rend quasiment
impossible l'utilisation des équipements de
protection individuelle utilisés dans les
opérations de désamiantage en climat
tempéré. Les travailleurs logent, en grande
majorité, au plus près des chantiers,
à plusieurs dans le même baraquement, au
sein de bidonvilles sans eau courante, juste
au-delà de la route qui court,
parallèlement à la plage. Le sol et l'air y
sont presque aussi pollués que sur les chantiers,
la promiscuité, la pollution et la malnutrition
entraînant une haute incidence de maladies graves
(malaria, tuberculose, lèpre et maintenant sida,
sans compter les maladies professionnelles).
Une pollution
très grave sous de multiples formes est
omniprésente tant sur les chantiers que dans
l'environnement terrestre et maritime.
L'amiante par exemple
est partout, venant de la destruction des calorifugeages,
des cloisons, plafonds et de multiples lieux au sein des
navires où il assurait l'isolation thermique et
même phonique. Lors des opérations de
démantèlement, l'amiante est arraché
sans la moindre précaution à mains nus,
à la barre à mine, ou dispersé sous
le feu des chalumeaux. Dans les reportages filmés
de Greenpeace International de 1998 et 2000, on voit
même un ouvrier étalant à la main,
par terre, pour le faire sécher, de l'amiante bleu
(crocidolite, la variété d'amiante la plus
dangereuse) en vrac. Cet amiante sera ensuite revendu
dans quelques unes des multiples échoppes
situées le long des routes du voisinage. Ce
polluant à lui tout seul engendrera des milliers
de victimes de fibroses pleuro-pulmonaires et de
cancers.
Mais la pollution par
l'amiante n'est pas la seule. Les peintures contenant des
pigments à base de plomb et de chrome VI sont
extrêmement fréquentes dans les navires et
engendrent des nuages de toxiques sous le feu des
chalumeaux, d'où l'apparition inévitable
des multiples et diverses manifestations du saturnisme,
et, à terme l'apparition de cancers.
Les peintures de coque
de navires contenant du tributylétain (TBE), un
pesticide utilisé pour éviter les
dépôts de mollusques et coquillages divers
sous la ligne de flottaison, sont à l'origine
d'une grave pollution des milieux marins et sont
désormais interdits d'utilisation, mais les
bateaux n'ont pas loin de 30 ans d'âge en moyenne
quand ils viennent finir leur vie à Alang, et les
analyses de Greenpeace ont montré sur place une
pollution considérable de l'eau, des
sédiments et des sols par le TBE et secondairement
par d'autres dérivés organiques de
l'étain, redoutables pour leur
neurotoxicité.
Quant aux
biphénylpolychlorés (les PCB) on les trouve
dans les navires non seulement à l'état
liquide dans les transformateurs, mais à
l'état solide dans les peintures, dans de
multiples appareils électriques, dans des gaines
de câbles, etc., en raison de leur inertie chimique
et de leur résistance au feu. Sous la flamme des
chalumeaux, à très haute
température, ils donnent des dioxines et des
furanes, composés non seulement
cancérogènes mais responsables de diverses
atteintes en particulier du système
immunitaire.
Enfin les multiples feux
sur les plages et la flamme des chalumeaux produisent des
nuages de fines poussières, riches en
hydrocarbures polycycliques aromatiques, les HPA,
premiers cancérogènes repérés
dès le 18ème siècle comme
étant à l'origine du cancer du scrotum des
ramoneurs, et connus maintenant comme l'une des
principales familles de cancérogènes,
à l'uvre dans les cancers de la peau, des
poumons, de la vessie, etc.. Et là encore les
analyse de sols et de sédiments
réalisées par Greenpeace ont
révélé des taux
inquiétants.
Au final il
apparaît que les ouvriers vivent en permanence dans
une atmosphère hautement polluée qui est
déjà et qui sera plus encore demain
à l'origine d'une multitude de maladies et de
décès. Un spécialiste allemand en
santé-travail, accompagnant la
délégation de Greenpeace en 1998, a
estimé qu'au moins un quart des travailleurs
seraient atteints prématurément par des
cancers professionnels, ce qui est sans doute une
estimation à minima si l'on tient compte des
probables effets de synergie entre les différents
polluants.
En 1998 il était
comptabilisé, de par le monde, une mise au rebut
annuelle d'environ 700 navires. Depuis le nombre de
navires envoyés chaque année au
démantèlement n'a fait qu'augmenter et
l'interdiction des navires à simple coque -
survenue le mois dernier - ne va faire
qu'accélérer ce mouvement.
Parallèlement, si
dans les années 1970, des pays comme l'Espagne et
la Grande-Bretagne avaient développé des
chantiers de démantèlement hautement
mécanisés, ce sont les chantiers asiatiques
(Inde en tête) qui, dès le début des
années 1980 ont pris le relais dans le cadre de
stratégies de sous-traitance des firmes
multinationales de l'acier, en cassant les prix, sans
investissement majeur, en employant une main d'uvre
nombreuse, sous payée et livrée sans
défense à une grave surexposition à
des toxiques majeurs.
Devant les protestations
internationales quelques mesures ont été
prises, dérisoires, par exemple des panneaux - en
anglais - appelant à respecter la
sécurité (No safety, Know pain. Know
safety, No pain), des casques ont été
distribués. Rien à voir avec les
investissements lourds qu'implique un chantier de
désamiantage, sans parler de la prévention
face aux autres polluants.
Et rien ne changera sans
une remise en cause totale de tels chantiers, ne
serait-ce que parce que la technique d'échouer sur
une plage un énorme navire face à un
chantier de 30 m de largeur, ne peut pas permettre
d'appliquer un plan correct de sécurité. Au
delà, il faut considérer dans quelle
situation se trouve aujourd'hui l'Inde en matière
de santé des travailleurs. Dans la
réglementation indienne, l'usage de l'amiante est
toujours autorisé et il n'y a pas de normes
strictes de prévention. C'est encore le
règne de " l'usage contrôlé "
préconisé par les firmes multinationales de
l'amiante présentes en Inde. Ceci s'inscrit dans
un contexte social où salaires, conditions de
travail et protection sociale sont sans rapport avec la
situation des pays européens, ce qui justifie les
stratégies des multinationales de l'acier qui
peuvent ainsi abaisser les coûts du
démantèlement des navires. Sur de tels
chantiers la mise aux normes européenne en
matière de sécurité signifierait une
transformation sociale profonde de l'organisation du
travail en Inde, voire de la société
indienne dans son ensemble.
L'illégalité
du transfert du Clemenceau vers l'Inde pour
démantèlement
Le transfert du navire
se ferait en méconnaissance de la
réglementation existante en matière
d'exportation de déchets dangereux. Que dit la
réglementation française ?:
Le décret
n° 90-267 du 23 mars 1990
Ce décret,
relatif à l'importation, à l'exportation et
au transit de déchets générateurs de
nuisances, prévoit en son article 18 que
l'exportation des déchets visés à
son annexe I, au nombre desquels on trouve " toute
matière, substance ou produit dont l'utilisation
ou la mise sur le marché est interdite dans le
pays exportateur " et " les déchets contenant de
l'amiante ", est subordonnée à une
autorisation délivrée par le ministre
chargé de l'environnement " au vu de l'accord
préalable de l'Etat de destination ".
L'article L. 541-40
du Code de l'environnement
Le transfert du navire
serait également contraire aux dispositions de
l'article L. 541-40 du Code de l'environnement, qui
prévoit que l'exportation des déchets est
interdite lorsque le destinataire " ne possède pas
la capacité et les compétences pour assurer
l'élimination de ces déchets dans des
conditions qui ne présentent pas de danger ni pour
la santé humaine ni pour l'environnement ". La
Cour Suprême d'Inde, dans une décision en
date du 14 octobre 2003, a considéré
précisément que l'Inde devait participer
aux réunions concernant le
démantèlement des navires, avec un mandat
clair impliquant l'obligation de décontamination
des navires pour des substances dangereuses telles que
l'amiante
. avant toute exportation vers l'Inde
(article 70-2 (2)).
Et l'Europe ?
Le Règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil
du 1er février 1993
Le transfert du navire
en Inde serait également contraire aux
dispositions du Règlement (CEE) n° 259/93 du
Conseil du 1er février 1993 concernant la
surveillance et le contrôle des transferts de
déchets à l'entrée et à la
sortie de la Communauté européenne, qui
prévoit en son article 14 que " sont interdites
toutes les exportations de déchets destinés
à être éliminés " et en
son article 26-1 que " constitue un trafic
illégal tout transfert de déchets
qui est contraire aux articles 14
".
Ces règles
françaises et européennes ne font
qu'appliquer les dispositions de la convention de
Bâle.
La convention de Bâle du 22 mars
1989
Le transfert du navire
est contraire aux dispositions de la Convention de
Bâle sur le contrôle des mouvements
transfrontières de déchets dangereux et de
leur élimination, convention signée par la
France et l'Inde et entrée en vigueur le 5 mai
1992.
L'amiante présent
dans le navire, qui figure parmi la liste des
déchets dangereux au sens de l'article 1 de la
Convention, constitue bien un déchet au sens de
son article 2-1, puisqu'il s'agit d'une " substance ou
objet qu'on élimine, qu'on a l'intention
d'éliminer ".
Or, l'article 4-9 de la
Convention prévoit que les mouvements
transfrontières de ce type de déchets ne
sont autorisés " que si l'Etat d'exportation ne
dispose pas des moyens techniques et des installations
nécessaires ou des sites d'élimination
voulus pour éliminer les déchets en
question selon des méthodes écologiquement
rationnelles et efficaces ", ce qui n'est
manifestement pas le cas concernant la France. Il
s'agirait donc d'un trafic illicite au sens de l'article
9-1 de la Convention.
L'action en justice
contre l'Etat français et la société
SDI, menée pour l'association Ban Asbestos, par
les avocats François Lafforgue et Jean-Paul
Teissonnière, est en cours depuis mars 2005. La
bataille juridique a été engagée par
la partie adverse sur le terrain de la procédure
et non d'un procès au fond. Nous attendons une
décision de la cour d'appel de Paris le 11 octobre
2005. Néanmoins, le Clemenceau qui devait quitter
la France pour la baie d'Alang en mars est toujours
à quai à Toulon. Etrangement, une seconde
opération de désamiantage a
été faite au cours de
l'été
Conclusion
Le rapport de force engagé depuis plusieurs
années par des associations telles que Geenpeace
et Ban Asbestos contre le transfert des navires en fin de
vie donne visibilité aux nouvelles formes de
transfert de risque et de double-standard entre pays de
conditions salariales inégales. La " ballade du
Clemenceau " est emblématique à plusieurs
titres. Tout d'abord elle illustre non seulement de ce
double-standard mais la résistance qu'opposent les
multinationales et les états à appliquer la
réglementation de protection de la santé
des travailleurs dès lors que des
intérêts économiques puissants sont
en jeu. Mais Le Clemenceau, navire de prestige de la
marine française, est emblématique d'un
choix politique majeur à venir, à savoir ce
qui adviendra, en France et probablement dans les autres
pays européens, des navires en fin de vie de la
marine militaire et de la marine marchande. Plusieurs
bateaux de la marine nationale sont actuellement en
attente
Pour nous militants contre l'amiante, il
s'agit de refuser le repli sur de fragiles victoires.
Certes, l'Europe a interdit l'amiante mais nous devons
aller plus loin et assumer intégralement les
conséquences de l'utilisation massive d'amiante
sur notre continent. Cela signifie en particulier
d'assurer par nous-mêmes, dans des conditions
effectives de sécurité, l'ensemble des
opérations de désamiantage des navires
aussi bien que des bâtiments publics, des
écoles, des usines
. Tel est l'enjeu de la
bataille judiciaire engagée autour du
départ éventuel vers l'Inde de la coque de
l'ex-porte-avion Clemenceau, qui a déjà
entraîné la mort de nombreux travailleurs de
l'amiante, ceux qui dans les chantiers navals ont
assuré sa construction il y a près de 50
ans, mais aussi tous les marins, mécaniciens et
soldats qui, pendant des décennies, ont
navigué au contact de l'amiante.
INTERVENTION de
NICOLE VOIDE (BAN ASBESTOS FRANCE) à BRUXELLES
Mon frère est la
première victime connue de la contamination
à l'amiante d' Aulnay-Sous-Bois, notre ville
natale dans la région parisienne en France. En
1995, il déclare un mésothéliome
(cancer de la plèvre). C'est le choc et la douleur
pour notre famille. Je ne me fais pas à cette
idée qu'il puisse mourir et j'espère un
traitement miracle. Nous n'avons que 18 mois
d'écart d'âge mais nous étions
affectivement comme des jumeaux J'ai été
fixée tout de suite sur les ravages de ce
matériau sur la santé car lors de
l'élection européenne de la même
année, j'avais commandé " le livre noir
de l'amiante " proposé par le groupe des Verts
européens. Formidable livre mais terrible lecture
pour moi dont le frère était
touché.
Le pneumologue qui le
suivait nous ayant indiqué qu'il avait
énormément de fibres d'amiante sur la
plèvre, preuve de son exposition, j'ai rapidement
voulu savoir où il avait pu les respirer.
Dans un premier temps,
je me suis tournée vers son travail
(mécanicien à Air France) mais après
vérification cette piste s'est
avérée fausse (il n'exerçait ce
métier que depuis 4 ans et le délai de
latence de cette maladie se situe entre 10 et 50 ans et,
d'autre part, ni son atelier ni les réacteurs des
avions n'avaient été floqués
à l'amiante).
Je n'ai eu de cesse
alors de faire des recherches auprès de la
population environnante de cette usine fermée en
1991, auprès de la Mairie et de la
Préfecture.
Et j'ai découvert
qu'une de nos voisines d'enfance à
Aulnay-Sous-Bois avait habité dans une petite
maison mitoyenne de l'usine et elle me parla alors de
" l'usine d'amiante " située à 100
mètres de notre domicile familial et de la
poussière qui en sortait et recouvrait les
alentours (mon frère a toujours vécu
à 100 mètres de l'usine, moi jusqu'à
mon mariage et nous allions à l'école se
trouvant à 50 mètres de l'usine).
Les premiers documents
confirmant ces dires m'ont été
donnés par un voisin de l'usine d'amiante CMMP
(Comptoir des Minéraux et Matières
Premières), toujours présent au moment de
la maladie de mon frère et qui s'était
battu avec d'autres riverains (en vain) contre les
méfaits de cette usine de broyage d'amiante et de
mica.
J'ai écrit et
téléphoné ensuite à la Mairie
et à la Préfecture mais pas de
réponse concernant la période après
la guerre de 39-45 sur l'amiante dont le broyage,
officiellement, n'aurait pas été repris .
Alors que les riverains m'affirmaient le contraire.
J'ai donc dû ruser
une première fois, en Mairie, pour consulter le
dossier de cette usine classée dangereuse en 1938
et obtenir copie du plan de l'atelier d'amiante et
l'autorisation d'ouverture de l'usine dont un paragraphe
parlait des conditions à respecter pour ne pas
exposer l'environnement à la poussière
d'amiante. En Préfecture, sitôt que j'eu
prononcé le mot " amiante " plus personne ne
voulait me répondre.
Ensuite, pour obtenir
d'autres documents officiels prouvant le broyage
d'amiante au CMMP et le non respect de la
règlementation en matière de
poussières, il a fallu en appeler à la CADA
(Commission d'Accès aux Documents Administratifs)
organisme qui oblige les autorités publiques
à laisser consulter les dossiers aux citoyens et
à en obtenir des photocopies.
Je voulais tout savoir
sur cette usine car ma conviction était que
c'était là que mon frère avait
été contaminé. Tout comme moi
même qui suis atteinte de plaques pleurales, preuve
de ma contamination à l'amiante.
Je n'ai jamais
été guidée par la vengeance mais par
un esprit de justice et je voulais que les industriels et
les autorités qui les ont soutenus sachent qu'ils
ne peuvent pas impunément faire n'importe quoi
pour gagner de l'argent sans s'occuper des
conséquences de leurs actes
répréhensibles. J'ai promis à mon
frère d'aller jusqu'au bout de cette
démarche.
En même temps que
je cherchais de plus en plus de preuves contre les
méfaits sanitaires de cette usine, j'ai
accompagné mon frère tout au long de sa
douloureuse maladie qui l'a emporté 18 mois plus
tard. Il faut avoir vu et entendu une crise
d'étouffement d'un malade, il faut avoir vu
l'état de délabrement physique dans lequel
cette maladie le met pour mesurer l'horreur de cette
maladie et je ne parlerai pas de la douleur morale de
laisser derrière soi une femme, des enfants dont
une enceinte, une mère (qui parlait d'assassinat
car il n'est pas mort de mort naturelle) et deux
soeurs.
A sa mort,
anéantie, je n'arrivais plus à faire de
démarches de recherches auprès des
autorités et des riverains alors mon mari,
convaincu lui aussi de la responsabilité du CMMP,
avec le même esprit de justice, a pris le relais et
il a passé des journées entières
à consulter les compte-rendus municipaux de
l'époque où l'usine avait été
en activité et il a trouvé un nombre
incalculable de documents prouvant le non respect des
normes de sécurité en matière de
poussières (jusqu'à 3 mm de
poussières d'amiante dans l'environnement de
l'usine). Il s'occupait des contacts, je faisais la
secrétaire pour toutes les démarches.
En deux ans, nous avons
réussi à obtenir un dossier
réunissant assez de preuves pour pouvoir porter
plainte contre X et, en 1997, une enquête
judiciaire démarrait qui allait durer jusqu'en
2000 année où un juge d'instruction a
été nommé avec pour chef
d'accusation " homicide involontaire ".
Pour nous, le mot "
involontaire " n'est pas de mise mais la justice suit son
cours. Aujourd'hui, nos avocats se battent pour que le
CMMP soit mis en examen en tant que personne morale et
décision sera rendue le mois prochain.
Un vrai travail de
fourmi, à deux, pendant 5 ans, soutenus et
conseillés dès le début par Patrick
HERMAN (président de BAN ASBESTOS FRANCE), Henri
PEZERAT et Annie THEBAUD-MONY (fondateurs de BAN ASBESTOS
FRANCE en 1995) et d'ANDEVA (Association Nationale de
Défense des Victimes de l'Amiante en 1996).
Au fil des ans, nous avons
nous-mêmes recensé 50 cas de maladies
dûes à l'amiante se situant dans un rayon de
500 mètres de l'usine CMMP et ce n'est
malheureusement que la partie immergée de
l'iceberg.
En 2000, mon mari et moi
avons organisé une réunion publique dans le
quartier de l'usine incriminée. Nous avons
distribué pour cela plus de 4000 tracts dans les
boîtes aux lettres. Nous espérions la
présence d'une vingtaine de personnes, il en est
venu 100 et les premiers malades se sont fait
connaître à cette occasion.Un certain nombre
ont également porté plainte en justice
donnant encore plus de poids au dossier juridique.
Nous avons
décidé alors la création d'un
collectif de riverains du CMMP (60 au départ,
aujourd'hui 190 personnes). Avec lui nous nous sommes
battus pour faire cloturer correctement le site dangereux
de l'usine laissée à l'abandon, non
décontaminée, avec un silo à ciel
ouvert rempli d'eau stagnante, squattée par grands
et petits. Puis, lorsque nous avons appris par un
riverain du collectif qu'un projet de démolition
et de construction d'une zone pavillonnaire était
prévue, nous avons aussitôt alerté
les parents d'élèves de l'école
voisine, les élus de gauche du Conseil Municipal,
les élus " Verts ", le Conseiller
Général et le Conseiller Régional.
Tous nous ont soutenus et sont intervenus auprès
des autorités publiques (Mairie,
Préfecture, Ministères, Conseil
Général et Régional) afin d'obtenir
un désamiantage et une déconstruction du
site dans les normes requises. Devant cette mobilisation,
le Maire d'Aulnay a enfin accepté de créer
un Comité de Suivi sur cette question.
En Avril 2005, ce ne
sont plus deux individus mais 5 Associations (*) qui ont
organisé une manifestation devant le siège
de l'usine CMMP d'Aulnay-Sous-Bois. 300 personnes ont
répondu " présent " pour obtenir la reprise
des discussions avec la Préfecture sur les mesures
immédiates à prendre compte-tenu du danger
pour les enfants de l'école mitoyenne (toitures en
fibro-ciment qui s'envolent, poussières d'amiante
et autres toujours présentes dans les ateliers
dont les murs et les toitures sont troués)
désamiantage et déconstruction dans les
normes règlementaires, étude
épidémiologique, recensement des
malades.
Grâce à la
réussite de cette manifestation, le Préfet
a été contraint de reprendre les
discussions et il s'est enfin engagé à
faire entreprendre une étude
épidémiologique et un recensement des
victimes. De son côté, le pollueur se bat
pour ne pas payer cette décontamination
(coût : 2 millions d'euros).
Depuis 9 ans, nous
apprenons régulièrement la mort de victimes
ayant soit travaillées, soit habitées
près de cette usine et nous découvrons
malheureusement de nouvelles victimes. Notre intervention
depuis des années auprès des médias
a aussi porté ses fruits car les pouvoirs publics
sont toujours très sensibles à ce genre de
pressions. Les médias nous aident pour
créer un rapport de force favorable aux
décisions qu'il faut prendre dans
l'intérêt des riverains. Il est vrai que
l'actualité sur l'amiante et ses morts est
impressionnante.
Pour finir, je dirais
que, dans cette affaire, il y a 4 scandales :
1. La construction de cette usine d'amiante
CMMP a été faite à 50
mètres d'une école maternelle et
primaire et en plein centre ville alors que les
autorités savaient les dangers mortels de ce
matériau
2. Le CMMP a violé la règlementation
française sur l'hygiène
3. Les autorités publiques d'hier ont
laissé faire malgré les plaintes
incessantes des riverains, des parents
d'élèves et des élus locaux
4. Les autorités publiques d'aujourd'hui ont
cherché à cacher la
réalité de la contamination
passée et ne brillent pas par leur
vivacité à agir pour remédier au
danger actuel et aux décisions à prendre
pour décontaminer et déconstruire le
site pollué
Septembre 2005
(*) LE COLLECTIF DES RIVERAINS ET
VICTIMES DU CMMP (représenté par
Gérard Voide)
LES PARENTS D'ELEVES DE L'ECOLE DU
BOURG
BAN ASBESTOS FRANCE
(représentée par Annie Thébaud-Mony
et Nicole Voide)
ADDEVA 93 (association
départementale de Seine-St-Denis d'aide aux
victimes de l'amiante)
AULNAY ENVIRONNEMENT (association
écologique)