Présentation de la conférence sur l'amiante du 7 février 2008

Conférence organisée par l'IBB, à Vienne du 6 au 8 février

 

Qu'est-ce que l'IBB ? :

L'IBB est une organisation faîtière de syndicats divers dans le monde entier. Son nom est : l'Internationale des Travailleurs du Bâtiment et du Bois rassemblant, comme son nom l'indique les travailleurs de la construction et du bois. Elle rassemble 350 syndicats, environ, dans 135 pays et organise 12 millions de travailleurs. L'UNIA, le syndicat du bois et du bâtiment en Suisse est affilié à cette fédération. L'IBB est déterminée à promouvoir l'élimination de l'utilisation de toutes les sortes d'amiante et de matériaux contenant de l'amiante et l'élimination des maladies causées par l'exposition à l'amiante.

En 2000, l'IBB a lancé une campagne mondiale contre l'amiante qui s'est progressivement intensifiée et a pris de l'ampleur en raison des activités menées par leurs syndicats affiliés dans leurs pays respectifs.

Leur campagne comporte quatre domaines d'action :

1) la nécessité de mettre un terme à l'utilisation de l'amiante dans le monde entier dès que possible

2) Alternatives à l'amiante et reconversion de l'industrie du fibrociment

3) Prévention de l'exposition d'amiante présente dans les bâtiments

4) Aide à ceux et celles qui souffrent d'asbestose.

 

CAOVA invité par l'IBB :

L'invitation qui nous avait été faite était réellement un honneur. Nous avons été accueillis avec beaucoup de reconnaissance et d'égards. Nous avons eu droit à une petite intervention de six minutes qui nous a permis de dire l'essentiel et de présenter nos brochures. Notre matériel a favorablement impressionné les participant-e-s. Notre présentation était jointe à celle de Maria Roselli qui présentait son livre " die Asbestlüge " et l'impact de sa présentation par rapport à la famille Schmidheiny était très important. Nous avons pu enchaîner sur la nécessité de la traduction du livre en français et en anglais (si possible), ce qui nous permet d'avancer dans ce dossier. Maria Roselli a produit aussi avec la Télévision suisse italienne un film très émouvant sur sa rencontre avec Nadia dont nous avions déjà traduit l'article pour Le Courrier. C'est dans cette présentation que nous avons mesuré toutes les deux l'importance de dénoncer la famille Schmidheiny et de les amener au banc des accusés. Seul-e-s des participant-es suisses pouvaient le faire aussi directement. A nos côtés, se trouvait Dario Mordasini pour l'UNIA qui s'est plutôt attaché à présenter ce que le syndicat faisait au niveau de la prévention pour les victimes de l'amiante.

 

Points forts de la conférence :

Ceux-ci sont présentés par l'IBB sur son site (http://www.bwint.org/) :

100.000 décès chaque année dus à l'amiante - le président de l'IBB exige que l'amiante soit sur l'agenda de tous les gouvernements.

Approximativement 80 syndicalistes des industries bâtiment et bois de 36 pays se réunissent à Vienne pour discuter de la manière d'imposer une interdiction mondiale de toutes les types d'amiante. Klaus Wiesehügel, président de l'IBB, a souligné dans son discours d'ouverture que " l'amiante devrait figurer sur l'agenda de tous les gouvernements car les conséquences d'une exposition à l'amiante seront beaucoup plus graves que nous l'avons pensé il y a quelques années."

Selon Klaus Wiesehügel, un grand problème est l'agression de l'industrie de l'amiante sur les pays en voie de développement en Afrique et en Asie alors que dans plus de 40 pays une prohibition de l'amiante existe déjà. On constate que dans les pays en voie de développement il existe encore une augmentation de l'importation d'amiante.

Pour l'IBB, l'événement parallèle organisé par le groupe d'amiante chrysotile est clairement provocateur. Wiesehügel mentionne "Ces personnes cherchent la confrontation. Nous n'accepterons pas leur provocation. Nous emploierons des mots clairs." Johann Holper, président de l'affilié autrichien de l'IBB, GBH: "Ceux en faveur de l'amiante craignent le succès de la campagne globale de l'IBB pour une interdiction mondiale. Nous continuerons à travailler jusqu'à parvenir à une interdiction mondiale de l'amiante!"

L'industrie d'amiante cherche à convaincre le public que l'amiante n'est pas dangereux et sûr. Pour Igor Fedotov de l'Organisation internationale du travail (OIT) à Genève : "Tous les scientifiques sérieux s'opposent à cette opinion. Le mieux est une interdiction mondiale!"

Les chiffres nous concernent : Approximativement 100.000 personnes meurent dans le monde entier chaque année après une exposition professionnelle à l'amiante. Pour Fiona Murie, directeur du programme santé et sécurité "les chiffres inconnus sont certainement plus élevés car de nombreuses victimes ne savent pas qu'elles ont été exposées à l'amiante et les problèmes sur la santé apparaissent très souvent plusieurs décennies plus tard sans qu'aucune relation ne soit faite. En outre, il n'y a aucun enregistrement fiable des cas médicaux dans beaucoup de pays. "

 

Mais une certaine opposition à l'interdiction de l'amiante ne faiblit pas… :

La surprise était de taille : lorsque nous sommes arrivés dans les locaux de l'hôtel, un appel de " l'alliance internationale des organisations syndicales de l'industrie mondiale du chrysotile " Meeting of international Trade Unions of world chrysotile industry " avait été collé à l'entrée de l'hôtel où allait se tenir la conférence. Voici quelques extraits de cet appel : " Nous participants au meeting international, les représentants des syndicats de la branche du chrysotile de différents pays du monde ont trouvé nécessaire d'adresser aux délégués de la conférence du syndicat BBI cet appel, car nous n'avons pas l'occasion d'informer les membres du BBI du point de vue des syndicats qui soutiennent la position de l'usage contrôlé du chrysotile dans le monde entier. " " Nous sommes convaincus que l'usage du chrysotile est vitalement nécessaire pour la préservation de la santé et du bien être de centaines de millions de gens partout dans le monde, spécialement dans les pays pauvres et les plus pauvres, souffrant ou mourant prématurément du manque de toiture sur leur tête et d'eau claire. Un large usage des produits contenant économiquement du chrysotile est une des conditions pour résoudre le problème " (" … "). " Nous considérons qu'une partie des leaders de BBI n'ont pas l'information sur la question de l'usage contrôlé de l'amiante, dans sa pleine révélation. Le résultat en est qu'ils font une sérieuse faute politique en ne considérant pas nos collectifs syndicaux. Nous suggérons que nous devrions tenir une série de consultations et de séminaires avec une participation de toutes les parties intéressées à une solution avec le chrysotile ".

Dans une autre lettre qui avait précédé cet appel, lettre adressée à Madame Anita Normark, secrétaire générale de IBB, il était clairement affirmé : " Nous espérons qu'un jugement objectif d'une pratique de nombreuses années et de recherches scientifiques sur la production et l'utilisation du chrysotile va pouvoir changer la position de l'IBB sur ce problème ".

Loin de se cantonner à cet appel, le groupe avait squatté le premier étage des salles de conférence et tenait session au-dessous de nous avec une participation d'une quarantaine de personnes qu'on pouvait constamment rencontrer dans l'hôtel…Leurs documents luxueux souvent signés par un Monsieur Bernstein de Genève, caractérisé pour ses " compétences scientifiques", étaient à disposition.

L'IBB s'est immédiatement distanciée de cette provocation.

 

Contre des arguments fallacieux, le consensus scientifique international ne laisse pas place au doute :

Les travaux de la conférence ont été certainement marqués par cette infiltration qui a parfois polarisé l'énergie sur un débat qui visait à paralyser l'avancement des échanges et des objectifs de la conférence. Un représentant d'un syndicat russe a d'ailleurs clairement réaffirmé cette position à la table de la conférence le deuxième jour, en dépit d'un désaveu manifeste de la quasi-totalité des participants.

A la même table, Annie Thébaud Mony, a pu donner des explications très claires sur les enjeux de cette provocation : il n'existe plus aucun doute sur la toxicité du chrysotile. Les preuves scientifiques existent. Dans le cadre de son institut, l'INSERM, des études ont été faites qui sont toutes catégoriques : l'amiante chrysotile est un cancérogène dont les effets sont prouvés, tant au niveau expérimental qu'en épidémiologie. Annie Thébaud Mony a pu aussi évoquer les conclusions d'Henri Pézerat toxicologue en France, spécialiste des mécanismes de cancérogénèse des fibres d'amiante. Dans un rapport de mars 2006 ayant pour objectif l'examen critique des travaux de Bernstein, il démontre, sur la base des travaux d'autres équipes expérimentées et reconnues dans ce domaine que : " Les résultats de Bernstein et autres n'apportent aucun nouvel apport scientifique et se basent sur de fausses estimations " qui conduisent à des dégâts considérables.

Les résultats de Bernstein, qui signe tout les papiers de contre-offensive pour la défense du chrysotile, sont de purs produits de pseudo-science, exploités par le lobby international des producteurs d'amiante pour renforcer la thèse de l'absence de risque dû au chrysotile. C'est une attitude criminelle, conclut Henri Pézerat, " qui conduit à sacrifier la vie de nombreux travailleurs des pays émergents où les conditions de vie et de travail ne permettent pas des études scientifiques ".

Ainsi il est fait un usage pervers de la toxicologie et de l'épidémiologie :

- De la toxicologie, en présentant abusivement une propriété particulière du chrysotile comme preuve de son inocuité. Les lobbies du chrysotile nous laissent entendre que les fibres chrysotiles resteraient moins longtemps dans les poumons. Or les toxicologues ont montré que se baser sur l'état stationnaire ou non de ces fibres constitue une approche totalement erronée. C'est la composition des fibres et la réactivité de ces fibres qui suscitent des mécanismes de cancer.

- De l'épidémiologie, absente de très nombreux pays en raison de la faiblesse des moyens sanitaires de ces pays. Les industriels de l'amiante font croire que l'absence d'études dans des pays comme l'Inde prouverait que l'amiante n'est pas dangereux.

Au Canada, des études récentes l'ont montré : il existe une forte contamination des maisons proches des montagnes de déchets des mines d'amiante chrysotile. Dans la région, le taux de mésothéliome chez les femmes est le plus élevé du monde. Beaucoup de femmes en sont mortes.

Cette offensive des lobbies du chrysotile est une offensive commerciale pour empêcher que le chrysotile soit inscrit dans la Convention de Rotterdam, comme toxique dangereux. Ce lobby contribue de plus à dissimuler ses responsabilités par rapport à une catastrophe sanitaire sans précédent.

Madame Fernanda Gianassi, responsable d'ABREA au Brésil s'est élevée aussi violemment contre la venue des syndicalistes du chrysotile. Elle a reconnu l'un d'entre eux, dénonçant ainsi ses procédés scandaleux et criminels d'intimidations pour dénigrer le travail fait par son association. Il a même fallu procéder à une surveillance discrète pour qu'elle ne soit pas menacée dans l'hôtel.

Les exposés :

Plusieurs exposés vont être mis sur le site d'IBB.

Dans ceux qui sont déjà publiés, celui de l'organisation mondiale de la santé donne des pistes pour une action et une campagne globale pour les maladies liées à l'amiante. Ce rapport présenté par Ivan Ivanov, de l'OMS à Genève est intéressant pour nous dans la mesure où on peut s'appuyer sur ses considérations en vue de demandes sur le plan régional et national . Cf page 7, 8, 9 rapport du 07.02. " Outline for the Development of National Programmes for Elimination of Asbestos-Related Diseases. Ils proposent aussi dans ce texte un fonds pour l'indemnisation des travailleurs. " Un autre texte en français de l'OMS : " Elimination des maladies liées à l'amiante " donne aussi des pistes intéressantes sur une série de recommandations. cf Page 2, la phrase suivante : " Sachant qu'il n'y a aucune preuve de l'existence d'un seuil pour l'effet cancérogène de l'amiante et que l'on a observé des risques de cancer accrus dans les populations très faiblement exposées, la façon la plus efficace d'éliminer les maladies liées à l'amiante consiste à mettre fin à l'utilisation de tous les types d'amiante. "

Encore deux interventions remarquées, celle de Fred Gona pour l'Afrique du Sud qui a été interviewé dans le livre de Maria Roselli et celle du camarade indien qui a relevé en Inde une véritable catastrophe humanitaire. Pour ces deux exposés, l'enjeu était toujours de savoir comment assurer la reconversion pour retrouver des alternatives viables. Leur but était d'interpeller les syndicats pour faire des campagnes de sensibilisation des travailleurs et de savoir comment l'interdiction de l'amiante dans ces pays peut amener à un autre type de consommation durable qui entraîne d'autres formes d'organisations et de développement.

 

Jeudi, les syndicats autrichiens ont développé et exposé les sujets suivants :

 

1) le déflocage du Centre International de Vienne

Il s'agit d'un énorme bâtiment, construit en 1973 à Vienne, bourré d'amiante. (il y avait

340 000 m2 de surface amiantés. En 97, ils ont fait une estimation générale de déflocage. Ils ont gardé la solution de transformation, tout en mesurant les risques. Ils ont gardé la solution de faire l'assainissement étage par étage et ils ont déplacé les gens. En même temps ils avaient mis sur pied un centre médical pour recevoir les utilisateurs du bâtiment. Ils ont dû faire des mesures en permanence. Ils ont un laboratoire qui leur permet de procéder à ces mesures. Ce projet de déflocage ne sera terminé qu'en 2013. Actuellement ils travaillent sur le déflocage du bâtiment conférence, après avoir défloqué les 4 tours contenant des bureaux. Monsieur Kropiunik qui nous a présenté cet immense projet, ingénieur du bâtiment, manager de Schadsstoff, c'est à dire manager de matière " endommagée ", maîtrise visiblement très bien la technique du déflocage. Ils ont développé des équipes de désamiantage professionnelles qui avaient visiblement les mêmes techniques que celles qui ont démantelé les locaux du collège d'Entrebois, mais dans une proportion dix fois plus conséquente. Pour Vienne , il existe une seule décharge où les matériaux consolidés avec du ciment et de l'eau sont conditionnés et éliminés (incinérés ?) Il serait intéressant de reposer des questions dans ce sens.

 

2) le Centre de conseil pour les personnes exposées professionnellement à l'amiante

http://www.bbrz.at/static_files_bbrz/files/asbest_web.pdf

Lors de la présentation de ces centres qui existent dans plusieurs villes d'Autriche, Madame Ursula Doleza a présenté les buts d'un tel organisme. Le Centre de conseil en Autriche a été ouvert en 2003. Il a fait un appel à 57 000 personnes suspectées d'avoir été en contact avec l'amiante. Ils ont atteint sur la durée d'un an, de 2003 à 2004, 57 000 personnes pour les informer. 4412 personnes se sont manifestées à leur centre de conseils. 785 ont subi un examen. 20% d'entre eux avait une maladie due à l'amiante. 2,5 millions d'Euros ont été investis dans cette initiative. Ce montant ne concerne que les personnes touchées. Cet argent a été investi à titre paritaire sur l'assurance professionnelle des salariés et sur l'assurance accidents. Ce partenariat social a permis l'établissement de ce centre. Il n'est pas mentionné là-dedans le rôle des services publics et de l'Etat, mais j'ai adressé une question par écrit pour qu'on m'informe plus là-dessus. On pourrait en faire mention quand on relance nos autorités autour de la pétition.

 

Sur le procès de Turin :

Soyons clairs : aujourd'hui le recours à des tribunaux est essentiel. Dans un pays, l'Italie, où des procureurs comme Guariniello ont eu le courage d'ouvrir une enquête, il est déterminant d'être partie prenante et de se porter partie civile dans ce procès, ainsi que d'encourager nos syndicats à le faire. 2900 décès sont imputables à l'activité de Stéphane Schmidheiny, à Emsens et à de Marchienne pour la Belgique qui sont responsables des décès. Cela fait cinq ans que cette instruction est engagée. Des négligences graves ont été perpétrées dans ces usines. Le procès concerne des millions de travailleurs partout dans le monde. Il est indispensable que l'IBB puisse examiner une démarche semblable pour que soient condamnés les responsables de cette catastrophe sanitaire.

Turin préfigure ce que nous demandons depuis longtemps, c'est à dire la création d'un Tribunal International du travail contre l'impunité et les fauteurs.

C'est déterminant que nous passions aux actes.

Dans cette conférence, nous avons pu bénéficier de l'apport du réseau international de Ban Asbestos Francet, de leurs connaissances et de leur combativité.

Est en ligne également sur le site IBB une contribution de Marcel Le Guen de la CGT qui montre bien comment les syndicats en France ont été déjà manipulés par le consortium de l'amiante, ce qui leur a fait perdre de nombreuses années de combativité. Débat actualisé par ce qui se passe aujourd'hui avec la pression des milieux liés au chrysotile.

Texte rédigé par Pierrette Iselin, le 10 février 2008