FIBRES MINERALES ARTIFICIELLES ET AMIANTE - RAPPORT DU GROUPE SCIENTIFIQUE POUR LA SURVEILLANCE DES ATMOSPHERES DE TRAVAIL (avec la participation d'Henri Pézerat) (G2SAT) SEPTEMRE 1996
Le projet de décret diffusé par le Ministère du travail le 2 janvier 2007 prévoyait que la VLE (valeur limite moyenne d'exposition professionnelle) pour les FCR (fibres céramiques réfractaires) serait réglementaire et non plus indicative, ce qui permettrait dimposer des sanctions aux employeurs qui ne la respecteraient pas. C'est chose faite avec le décret du 26/10/2007 n° 2007-1539 sur les agents chimiques dangereux, dont les FCR, qui modifie l'article R.231-58 du Code du travail fixant la valeur limite d'exposition à 0.1 fibre par cm3 sur 8 heures de travail . L' arrêté du 26/10/2007 (J.O. n° 251 du 28/10/2007) sur la méthodologie de prélèvement et de comptages des FCR impose, lui, le prélèvement individuel et le comptage des fibres céramiques réfractaires suivant la norme AFNOR XP X 43-269 " Qualité de l'air. - Air des lieux de travail. - Détermination de la concentration en nombre de fibres par microscopie optique en contraste de phase. - Méthode du filtre à membrane " de mars 2002. Le décret n°2007-1539 du 26 Octobre 2007, applicable également aux FCR, impose que les prélèvements soient faits dans la "zone de respiration" de l'opérateur. La norme précitée définit la "zone respiratoire d'un opérateur" comme étant "l'hémisphère, de rayon 0,3 m s'étendant devant la face de la personne et centrée sur le milieu du segment qui joint les 2 oreilles. La base de cette hémisphère est le plan passant par ce segment, le sommet de la tête et le larynx". |
(Février 2005) Henri Pezerat, Toxicologue, Directeur de recherche honoraire au CNRS
Depuis 1998 plusieurs associations, l'ALERT, l'ANDEVA, l'ADEVA 76, et l'ARDEVA du Nord-Pas-de-Calais ont interpellé -en vain- les pouvoirs publics pour obtenir une réelle politique de prévention face aux risques que représente l'emploi des fibres céramiques réfractaires.
En particulier l'ADEVA 76 a adressé ,en date du 4 septembre 2001, un courrier comportant des propositions précises en matière de prévention à M Lionel Jospin premier ministre ,avec copies à une vingtaine de responsables ministériels et autres .Ce texte n'a reçu que quelques réponses évasives .Pour sa part l'ARDEVA du Nord-Pas-de-Calais a adressé, le 8 août 2002, une demande à M. Fillon, Ministre du travail, portant sur la nécessité de cinq mesures immédiates. Faute de réponse du Ministre, l'Association a alors saisi les parlementaires de la région pour qu'ils déposent une question écrite. La réponse -pleine de promesses de décisions rapides- est parvenue à une sénatrice (Mme Desmarescaux) en novembre 2003 Las, aucune décision n'a été prise et le communiqué du ministère du travail de janvier 2005 renvoie toute éventuelle action à des propositions préalables de commissions et d'experts et à des résultats d'enquêtes qui sont autant de prétextes à l'inaction.
Le fait que les médias aient donné récemment un certain écho aux protestations des associations entraîne de nouvelles demandes émanant des utilisateurs, d'où la présente mise au point.
Les fibres céramiques réfractaires sont des fibres conçues pour des applications dépassant 800°C et produites en Europe depuis la fin des années 60 . Il existe en France plusieurs usines de fabrication en particulier dans la région de St Etienne. Le marché est essentiellement tenu par deux firmes américaines Unifrax (autrefois St Gobain qui commercialisait ces fibres sous le nom de Kerlane) et Thermal Ceramics. Les appellations commerciales sont trop nombreuses pour être fournies ici. On les trouve dans un document de l'INRS (1) de 2003 qui peut-être utilisé comme document de référence pour l'information des CHSCT et des travailleurs exposés, population évaluée entre 15 000 et 20 000 personnes.
Les fibres sont commercialisées en vrac ou le plus souvent en matelas, nappes, feutres, papiers, panneaux, mortiers, colles, bétons, textiles (tresses, tissus, bourrelets, etc.). Elles sont de nature vitreuse, c'est-à-dire non cristallisée ,leur composition chimique faisant essentiellement apparaître silice et alumine à égalité dans les FCR " classiques ".
D'après l'INRS les fibres ont un diamètre moyen de 1 à 3/1000 de mm, avec une assez large dispersion de diamètre autour de ces valeurs, y compris avec une proportion importante, pouvant atteindre 40 à 60% du matériau, de particules non fibreuses.
Au-delà de 1000°C, très lentement, les fibres céramiques, vitreuses, cristallisent pour donner de la mullite et surtout de la cristobalite, une variété de silice cristalline extrêmement toxique. Cette dévitrification est d'autant plus rapide que la température est plus élevée.
A la différence des laines minérales classiques (laine de verre, de roche, de laitier) utilisables -selon la composition- soit jusqu'à 400°C soit jusqu'à 800°C, les fibres céramiques résistent bien jusqu'à une température un peu supérieure à 1200°C. Pour les températures plus élevées, jusque vers 1400°C les utilisateurs doivent recourir à des fibres céramiques réfractaires contenant de la zircone (oxyde de zirconium), plus chères (FCR-zircone).
Mais dans le domaine de température propre aux fibres céramiques réfractaires classiques (températures entre 800°C et 1200°C) il existe également des laines d'isolation haute température, certes plus chères, mais, comme nous le verrons, beaucoup moins dangereuses.
Les fibres céramiques réfractaires sont principalement utilisées dans des applications industrielles pour l'isolation thermique de fours industriels , de hauts fourneaux, de moules de fonderies, de tuyauteries, de câbles, pour la fabrication de joints, mais également dans des applications automobiles et aéronautiques et dans la protection incendie.
Les fibres céramiques réfractaires sortent des usines de fabrication soit en vrac, soit sous forme de nappes. Les nappes peuvent servir de revêtements isolants pour des parois de fours, de réacteurs, de cogénérateurs. Elles sont en général livrées en rouleaux, découpées aux ciseaux ou à l'aide d'outils type cutter, puis positionnées manuellement dans la métallurgie, la chaudronnerie,la tuyauterie et le soudage. Ces nappes sont manipulées et stockées le plus souvent sans aucune précaution, y compris dans des locaux confinés et des magasins .
Les fibres en vrac sont utilisées pour la fabrication de pièces moulées (modules, coquilles), de panneaux, de cartons, de feuilles ou de mastics. Ces fabrications se font en général en milieu humide, les fibres sont incorporées aux autres composants dans des appareils type mélangeurs ou pulpeurs, puis mises en forme par laminage ou compression dans des moules. Les opérateurs peuvent être exposés aux fibres lors du chargement des appareils, de la manipulation des sacs de fibres, y compris des sacs vides, et lors du nettoyage des appareils. Une fois secs, les panneaux, les feuilles ou les pièces peuvent être découpés, ébavurés et manutentionnés, ce qui peut aussi exposer les ouvriers concernés.
A signaler que certains pré- mélanges peuvent être réalisés à sec, comme dans le cas de la fabrication des matériaux de friction.
Les fibres en vrac sont aussi utilisées pour la fabrication de fils et de tissus. Dans ce cas, elles sont cardées, puis tressées et bobinées. Les fils obtenus peuvent ensuite être repris pour la fabrication de bourrelets ou tissés, pour la fabrication des tissus qui seront mis en uvre ultérieurement. L'exposition des opérateurs est possible à tous les stades de ces fabrications.
Les pièces ou les matériaux issus de ces premières transformations des fibres, comme les panneaux, les feuilles, les cordonnets, les tresses, sont ensuite usinés, ces diverses opérations libérant des fibres (par exemple : le sciage, la découpe, le fraisage, le rainurage, le perçage). Ces travaux produisent aussi des déchets dont la manipulation et le transport sont des sources d'exposition potentielle aux fibres céramiques.
Tous les ouvriers ayant manipulé des fibres céramiques connaissent leur pouvoir irritant. Elles entraînent, même à faible concentration dans l'atmosphère des dermatoses dues principalement aux fibres de plus gros diamètre. Mais l'essentiel des risques est au niveau respiratoire avec deux types de maladie, des fibroses et des cancers, qui sont les mêmes que celles engendrées par l'amiante. D'où d'ailleurs les difficultés actuelles pour repérer les maladies dues aux fibres céramiques, la très grande majorité des victimes de ces maladies, connues comme ayant été exposées aux FCR, ayant été également exposées à l'amiante. C'est ainsi que l'exposition à l'amiante joue le rôle d'écran qui dissimule le rôle des fibres céramiques dans les fibroses et les cancers.
Les fibroses de la plèvre et des poumons :
En expérimentation animale par inhalation chez le rat et le hamster, les FCR provoquent des fibroses pleurales (plaques et épaississement pleuraux) et des fibroses des poumons (fibroses interstitielles identiques à l'asbestose). Comme pour l'amiante, la gravité des pathologies dépend directement de l'intensité des expositions passées et les temps de latence sont du même ordre. Les nombreux écrits des producteurs et de leur association, l'ECFIA (soit en français l'Association européenne de la fibre céramique, le lobby patronal), ne peuvent pas et n'essaient plus de dissimuler ces résultats. Si l'on considère les niveaux d'exposition et les temps de latence les plus courants aujourd'hui pour les fibroses dues à l'amiante, temps égaux ou supérieurs à 30 ans, on devrait s'attendre à voir arriver prochainement des cas de fibrose pleurale chez les ouvriers ayant été le plus exposés aux FCR à partir de la période d'essor de la production et de la commercialisation de ces matériaux, c'est-à-dire après 1975, début de la première campagne de mise en cause de l'amiante.
Les enquêtes menées en Europe chez les travailleurs, dans six usines de production des FCR, se résument pour l'essentiel à une publication d'ordre épidémiologique (voir traduction dans Cahiers Notes Documentaires, INRS, 2003, pp.23-36). Cette étude, financée par l'industrie, est hautement critiquable car elle n'a pas -pour l'essentiel- le recul nécessaire pour tenir compte des temps de latence de plus de 30 ans des fibroses pleuro pulmonaires provoquées par les faibles niveaux d'exposition annoncées.
Si l'on examine le cas des travailleurs exposés aux FCR plus de 20 ans avant l'enquête -et non exposés à l'amiante- leur nombre est beaucoup trop faible pour permettre des conclusions indiscutables, soit 21 personnes dont 2 cas de plaques pleurales. Si l'on élargit aux travailleurs avec un délai supérieur à 10 ans depuis la première exposition aux FCR -toujours sans exposition à l'amiante- on passe de 21 à 62 personnes avec 8 cas de plaques pleurales et un pourcentage de plaques qui augmente avec la classe d'âge.
Il y a donc quelques éléments en faveur d'une relation entre exposition aux FCR et apparition de fibrose pleurale. Mais pour l'essentiel il s'agit d'une étude-alibi avec -pour les travailleurs- une très faible durée d'emploi et une faible concentration de fibres dans l'air, une qualité médiocre d'une partie des radiographies, une absence de scanner, et surtout une absence du recul indispensable pour juger de la présence des fibroses.
Aux USA par contre les enquêtes sur les populations exposées ont révélé des atteintes par fibrose pleurale, identiques à celles provoquées par l'amiante. Les travaux américains, toujours sur les ouvriers et ouvrières de production des FCR, montrent également une augmentation nette des altérations de la fonction respiratoire par rapport à une population témoin.
Compte-tenu des données animales et des données humaines, il n'y a donc plus aucune incertitude sur le rôle des FCR dans la genèse des fibroses des plèvres et des poumons.
Le nombre des victimes dépendra uniquement des niveaux et des durées d'exposition.
Les cancers des poumons et des plèvres :
Les mêmes difficultés que celles évoquées ci-dessus, et en particulier le rôle d'écran des expositions à l'amiante ne permettent pas à ce jour de produire, en population humaine, des preuves épidémiologiques irréfutables d'excès de cancer du poumon ou de la plèvre dans des populations non exposées à l'amiante mais exposées aux FCR avec un recul de trente à cinquante ans. On est ainsi dans une situation un peu comparable à celle qui a prévalu pendant des dizaines d'années avec l'amiante où, depuis les années 40, les preuves de son caractère cancérogène s'accumulaient sans qu'industriels, pouvoirs publics et " spécialistes " se prononcent nettement sur la nécessité d'une prévention réelle. Même l'enquête épidémiologique de Doll en 1955 révélant un très fort excès de cancer du poumon dans une usine d'amiante fut relativisée par l'auteur qui considérait ce résultat comme essentiellement dû à de très fortes expositions d'un lointain passé, situation qui aurait soi-disant disparue.
Pourquoi sommes nous cependant certains qu'il y a déjà et qu'il y aura de plus en plus de cancer du poumon et de mésothéliomes dus à des expositions aux FRC ?
Parce que les données animales sont incontournables, en particulier depuis 15 ans (2). Dans les études en inhalation sur le hamster, il y avait trois groupes d'exposition, un groupe contrôle, un groupe exposé au chrysotile (amiante) et un groupe exposé aux FCR (une sélection de fibres relativement longues). Ni le groupe contrôle, ni le groupe amiante ne présentait, en fin de vie, de cancers des poumons ou de la plèvre. Mais 42% des animaux exposés aux FCR étaient atteints de mésothéliome, valeur quasiment stupéfiante dans une espèce d'animale qui jusqu'ici s'était montrée très résistante aux fibres minérales cancérogènes. Une seconde étude -toutes deux à dose relativement élevée- donna le même résultat. La fibrose pulmonaire, identique à l'asbestose, apparaissait au bout de 9 mois.
Dans les études menées sur les rats, avec des fibres de longueur proche de 20/1000 de mm, et non plus -comme dans des études précédentes- avec des échantillons très riches en poussière, quatre échantillons différents furent testés, deux FCR classiques, un FCR-zircone et un FCR préalablement chauffé à haute température donc en partie dévitrifié et fragilisé, ce qui modifie les propriétés physico-chimiques des fibres. Un groupe supplémentaire était exposé au chrysotile (amiante). 13% et 15,7% des animaux des deux groupes exposés aux FCR furent atteints de cancer du poumon, contre 18,5% dans le groupe exposé au chrysotile et 1,5% dans un groupe témoin.
Dans le groupe exposé aux FCR-zircone, 7,4% des animaux étaient atteints de cancer du poumon, chiffre plus faible mais significatif. Quant aux cancers du poumon dans le groupe d'animaux exposés aux fibres chauffées, en partie dénaturées, ils ne touchaient que 3,4% des animaux. Dans chacun des groupes, sauf celui exposé au chrysotile, il apparaissait quelques mésothéliomes.
Quand -dans d'autres expériences- la concentration de FCR dans l'air était abaissée, le pourcentage d'animaux atteints de cancer du poumon diminuait, en restant supérieur au résultat obtenu dans le groupe contrôle mais de façon considérée statistiquement comme non significative.
Toujours chez le rat, les FCR injectés dans le péritoine provoquaient -à l'égal de la crocidolite (amiante bleu)- des mésothéliomes péritonéaux.
Tous ces résultats sont indéniables, mais les chercheurs et médecins anglais et américains liés aux industriels qui pilotaient ces études prirent prétexte que les excès de cancer obtenus pour des expositions faibles étaient statistiquement non significatifs, pour déclarer qu'il existait une valeur seuil de concentration de FCR dans l'air en-dessous de laquelle il n'y avait pas de risque. Vieux refrain mille fois entendu dans le cas de l'amiante et dont on mesure aujourd'hui les conséquences tragiques.
Les données sont donc sans ambiguïté sur plusieurs espèces animales et par diverses voies d'exposition. Les fibres céramiques entraînent, à l'égal de l'amiante, des fibroses pulmonaires, des cancers du poumon et des mésothéliomes.
Il n'y a pas d'exemple historique où des tels effets sur plusieurs espèces animales n'ont pas été retrouvés chez des humains exposés aux mêmes produits. Et on pourrait citer plusieurs cancérogènes chez l'homme (comme le chlorure de vinyle monomère) où les effets ont d'abord été observés en expérimentation animale avant de l'être sur des populations humaines.
On a donc l'assurance quasi absolue que les fibres céramiques réfractaires sont des matériaux à la fois cancérogènes et fibrosants chez l'homme, ce qui signifie qu'il y aura un jour prochain mise en évidence de ces pathologies dans les populations les plus exposées en milieu de travail.
Ce qui revient également à dire que, depuis 15 ans, industriels et pouvoirs publics laissent se dérouler une expérimentation humaine, dans l'attente d'une liste de victimes suffisamment fournie pour mettre en place une véritable prévention.
Les fibres céramiques réfractaires sont classées cancérogènes de catégorie 2 (substances devant être assimilées à des substances cancérogènes pour l'homme). Elles sont étiquetées Toxique (T) avec les phrases de risque R 49 " Peut causer le cancer par inhalation " et R 38 " Irritant pou la peau ". Les préparations contenant plus de 0,1% en poids de FCR doivent également être étiquetées Toxiques (T), avec les phrases de risque R 49. " Peut causer le cancer par inhalation et R 38 " Irritant pour la peau ".
La France a choisi d'appliquer ces règles d'étiquetage à tous les produits contenant des FCR (circulaire DRT 99/10 du 13 août 1999), dès lors qu'il existe un risque de libération de fibres lors de l'utilisation (par exemple : pour les produits prédécoupés, ou non, mais pouvant faire l'objet de découpes ou d'ajustement et pour les ciments pulvérulents).
En France, la valeur limite de moyenne d'exposition pondérée sur huit heures (VME) est de 0,6 fibre/cm3 (f/cm3) pour les FCR. Il s'agit d'une valeur limite indicative, non réglementaire.
L'étude de l'INRS, précédemment citée (1) recense les résultats de 869 mesures d'exposition par prélèvement individuel d'air en milieu de travail. Dans 43% des cas le salarié portait une protection respiratoire. Seules ont été prises en compte les fibres de plus de 5 microns de longueur. Les résultats varient de 0,01 fibre/cm3 à 27 fibres/cm3. 44% des résultats sont supérieurs à la norme, la Valeur Moyenne d'Exposition fixée à 0,6 fibres/cm3, et près de 20% des résultats dépassent les 2 fibres/cm3. Le document de l'INRS précise ensuite :
" L'analyse des résultats par catégorie de travaux permet de cibler les situations de travail les plus exposées aux FCR :
- la finition lors de la production de pièces en FCR (78,5% de résultats supérieurs à 0,6 f/cm3) ;- l'enlèvement (69,8% de résultats supérieurs à 0,6 f/cm3 ;
- l'installation (44,3% de résultats supérieurs à 0,6 f/cm3).
Pendant la période de l'enquête, si l'on constate fréquemment un port de protection individuelle respiratoire pour les catégories de travaux enlèvement et installation, il n'en est pas de même pour les opérations de finition lors de la production de pièces en FCR.
Pour toutes les autres catégories de travaux, des dépassements plus ou moins fréquents de la VME à 0,6 f/cm3 ont été constatés.
L'analyse des résultats en fonction de la profession des salariées utilisant des FCR met en évidence deux catégories de salariés particulièrement exposés :
- Les ouvriers affectés à des travaux de finition, contrôle et conditionnement (95,3% de résultats supérieurs à 0,6 f/cm3) ;- Les ouvriers de l'étanchéité et de l'isolation (65,6% de résultats supérieurs à 0,6 f/cm3) ;
Pour les autres types de professions, l'exposition aux FCR peut également dépasser la VME.
Ces résultats permettent de cibler les catégories de travaux pour lesquelles devront être menées, en priorité, des actions correctives : remplacement des FCR, modification des procédés, mise en place de protections collectives " (1)
Les FCR étant classées " cancérogènes ", leur emploi doit répondre à des règles contraignantes impliquant tout un ensemble de mesures de prévention (décret du 1er février 2001 et articles R 231-56 et suivants du Code du travail).
L'étude de l'INRS déjà citée (1) reprend en cinq parties l'essentiel des mesures et contrôles à mettre en place. Il est aisé de constater qu'il y a un abîme entre la réalité des conditions de travail et ce qui est prescrit par la loi. Il est donc essentiel que des actions soient engagées pour le respect de la réglementation actuelle, à l'exemple de l'arrêt de travail qui a eu lieu en septembre 2001 à l'usine CEGELEC de Dunkerque où les FCR étaient utilisées sans aucune précaution dans le calorifugeage d'un haut fourneau.
La question de la prévention face aux FCR doit donc être débattue dans tous les CHSCT concernés avec interpellation des employeurs et de l'inspection du travail, mais également du médecin inspecteur du travail, du service prévention de la CRAM, et de l'INRS, avec copie des constats effectués à la Direction des relations du travail au Ministère.
La substitution des FCR par des matériaux nettement moins dangereux est la première mesure à faire appliquer. Il est absolument indispensable de faire cesser l'utilisation banalisée des FCR, comme c'était le cas pour l'amiante, par exemple pour des isolations thermiques basse ou moyenne température. Refuser toute utilisation, sauf pour les très hautes températures n'est qu'une simple application du principe de substitution, inscrit dans la loi.
Au-delà de 800°C, température extrême pour certaines des laines minérales classiques, il y a recours possible à des laines d'isolation haute température (3) beaucoup moins dangereuses que les FCR car nettement plus soluble solubles en milieu biologique. Ces laines peuvent résister jusqu'à 1100 ou 1250°C. Elles sont disponibles dans la même présentation que les FCR. Certes " ces laines " spéciales sont plus chères que les FCR mais même cet argument n'est pas évident si l'on tient compte des coûts de la sécurité lors de l'emploi des FCR (mesures collectives, équipement individuel, gestion des déchets, etc.).
Pour les températures de 1200 à 1400°C, il n'y a -à notre connaissance- que le recours possible aux FCR-zircone, en attendant qu'une politique réellement incitative à la prévention oblige les industriels à rechercher des matériaux moins dangereux qui devraient être testés sur l'animal. Par exemple devraient être étudiées des fibres en alumine, en mullite, etc. matériaux résistants aux très hautes températures. A noter que la CRAM Nord Picardie, dans cette gamme de température, conseille -dans la mesure du possible- le remplacement des FCR par des bétons réfractaires. Quant à l'étude de l'INRS (1) elle suggère également " le recours à des fours maçonnés à double paroi au lieu d'un revêtement intérieur en FCR ".
En résumant très succinctement l'ensemble des mesures de prévention prévues par la législation, rappelons que l'emploi des FCR doit s'accompagner :
- d'une aspiration des poussières à la source, avec par exemple utilisation de tables aspirantes pour la découpe des nappes, des panneaux, etc.,- d'une recours quasi systématique au travail au mouillé,
- du recours à des précautions du même ordre que celles utilisées pour l'amiante lors de travaux en espaces confinés,
- du traitement des déchets à l'égal des déchets d'amiante,
- de l'étiquetage " cancérogène " permanent -ce qui est très loin d'être le cas- de tous les matériaux contenant des FCR,
- de l'utilisation de masques de type P3, de vêtements de protection jetables et de gants adaptés, etc.
" Pour les émissions de fibres les plus importantes et/ou exigeant un effort physique important, le recours à un masque complet à adduction d'air s'avère indispensable.
Dans tous les cas, les salariés doivent être formés à l'utilisation des appareils de protection respiratoire, les masques usagés et les filtres seront considérés comme des déchets de FCR et traités comme tels " (1)
Enfin -et ce n'est toujours que la loi, rien que la loi- l'information et la formation doivent répondre aux critères suivants :
- " donner aux salariés travaillant au contact des FCR une représentation la plus juste possible des risques qu'ils encourent,- les former à la mise en oeuvre des moyens de prévention collective,
- les former à l'utilisation (port, retrait et entretien) des équipements de protection individuelle (EPI) mis à leur disposition. " (1)
L'étude de l'INRS (1) recense l'essentiel des mesures de prévention à mettre en uvre, mesures à faire appliquer par tout CHSCT et tout inspecteur du travail concerné.
Actuellement l'exposition aux FCR n'est pas inscrite dans la liste des travaux nécessitant une surveillance médicale spéciale, mais sont inscrits les travaux exposant à de hautes températures et ceux exposant à des poussières de fer, d'où la possibilité dans beaucoup de cas d'imposer cette surveillance spéciale. Dans l'état actuel de la loi, des examens complémentaires (du type radiographie, scanner, exploration fonctionnelle respiratoire) peuvent être demandés, une exigence qui devrait être reprise par le CHSCT.
Pour chaque travailleur exposé, une fiche d'exposition doit être établie par l'employeur, et une attestation d'exposition doit être remise à l'intéressé lors de son départ de l'établissement.
Il est aisé de constater, au vu par exemple des mesures effectuées par les services de contrôle (1) que la prévention face aux risques entraînés par ces matériaux est le plus souvent absente. De tels constats sont corroborés par les témoignages qui parviennent aux associations venant des différents secteurs : calorifugeage, métallurgie, chaudronnerie, chimie, pétrochimie, fumisterie, verrerie, réparations navale, etc. Deux associations de défense des victimes de l'amiante ont en particulier uvré à la visibilité de ces usages des FCR sans précaution, l'ARDEVA du Nord-Pas-de-Calais, et l'ADEVA 76. Sauf à fermer les yeux et se boucher les oreilles, il est donc urgent d'agir. Dans le cas contraire -comme pour l'amiante- les pouvoirs publics ne commenceront à s'émouvoir que lorsque les victimes des FCR -en grand nombre- viendront demander des comptes.
Des mesures prioritaires :
Les premières mesures à prendre ne sont en fait pas spécifiques aux FCR puisqu'elles visent à renforcer le caractère contraignant des mesures de prévention face aux produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (les CMR). Tel est le cas par exemple de la mesure sur la substitution. Dans une réponse à une question écrite du 20 mars 2003, le directeur de cabinet du ministre du travail de l'époque, M. Fillon (4) insiste sur le fait que " tout employeur a obligation de procéder à cette substitution ", quand cela est techniquement possible. Or dans la grande majorité des emplois actuels des FCR cette substitution est techniquement possible et il ne se passe rien !
Dans le même texte le représentant de M. Fillon met en avant l'initiative française sur l'étiquetage CMR (tête de mort, etc.) " "des articles " dont l'utilisation normale peut être source de diffusion de substances dangereuses (circulaire de la direction des relations du travail n° 99/10 du 13 août 1999) ". Très bien mais que fait le Ministère pour faire appliquer cette circulaire ? Il prétend, toujours dans le même texte (4), que " les contrôles de l'inspection du travail ont été renforcés, en particulier sur les FCR ".
En réalité la vérité est toute autre ! La majorité des inspecteurs du travail ignore même que les FCR sont classés cancérogènes et relèvent de la législation CMR.
Les premières mesures à prendre doivent donc rendre obligatoire la formation tant des CHSCT que des inspecteurs du travail, des médecins du travail et des services prévention des CRAM, formation poussée sur l'ensemble des cancérogènes, y compris les FCR, et sur les moyens d'assurer la prévention. Parallèlement le nombre d'inspecteurs du travail doit être très nettement augmenté, de même que doivent être renforcées les sanctions infligées aux employeurs récalcitrants. Si de telles mesures, rompant avec l'immobilisme actuel, ne sont pas prises, les pouvoirs publics continueront à se donner bonne conscience en publiant des textes sans que jamais les moyens soient donnés pour qu'ils soient appliqués.
Rendre la VME réglementaire et la diminuer :
La valeur limite moyenne d'exposition aux FCR est indicative et non réglementaire. Elle est donc, comme on l'a vu ci-dessus, allègrement dépassée sans que -la plupart du temps- il y ait intervention d'un corps de contrôle et sanction. Cette valeur limite doit donc devenir réglementaire , comme celle de l'amiante, de la silice, du benzène, etc., ce qui lui donnera un caractère contraignant, avec possibilités de mise en demeure et sanctions.
Dans leurs écrits les industriels du secteur reconnaissent la nécessité d'une VME qu'ils fixent à 1 fibre/cm3, contre 0,6 fibre/cm3 dans la législation actuelle. Ce n'est pas pour autant qu'est respecté le niveau qu'ils proposent puisque -dans l'étude INRS (1)- près d'un tiers des résultats de mesure sont supérieurs à 1 fibre/cm3.
Pour sa part, en mai 2003, le Ministère (4) prétend que " la révision de cette valeur limite d'exposition professionnelle est une des priorités actuelles du travail du ministère " ! Etrange priorité puisqu'aujourd'hui, deux ans plus tard, un communiqué du même ministère fait savoir que " des expertises ont été lancées ", mais qu'aucune décision n'est annoncée.
Il y a trois ans, dans un texte diffusé par l'ANDEVA, je rappelai déjà :
- Qu'il n'existe aucune justification scientifique à la valeur de 0,6 fibre/cm3, car les FCR sont des produits cancérogènes, qui plus est des cancérogènes forts, et qu'il n'y a pas de seuil en-dessous duquel le risque est négligeable. Comme en Allemagne, la valeur limite à ne pas dépasser est déterminée alors par les limites qu'implique la technique de mesure. C'est ce qui a conduit au choix de la valeur limite de 0,1 fibre/cm3 pour l'amiante, valeur contrôlée à l'aide de la technique du comptage en microscopie optique. C'est la même valeur qui devrait être adoptée pour les FCR, la technique de mesure étant la même. A noter que le travailleur qui respire l'équivalent de la valeur limite à 0,1 fibre/cm3 d'air sur 8 heures, inhale au total, pour un effort modéré, de 300 000 à 400 000 fibres pendant ces 8 heures ! Le moins que l'on puisse dire c'est que c'est beaucoup, beaucoup trop, et qu'il faudra donc songer dans l'avenir à faire baisser cette valeur.- Que cette valeur limite à 0,1 fibre/cm3 doit être respectée sur 1 heure et non sur 8 heures comme les VME indicatives, car il est indispensable d'éviter les pics d'exposition qui entraînent une forte contamination en un temps court. Ce choix d'une valeur limite sur une heure implique évidemment la mesure dans la période où l'empoussièrement est maximum. Il évite que des épisodes courts de forte pollution soient ignorés car dilués par 6 ou 7 heures de pollution nulle. Pour arriver à ce résultat pour les FCR il suffit de s'aligner sur ce qui a été obtenu dans le cas de l'amiante (cf. article 30 du décret 96-98 du 7 février 1996).
- Imposer des mesures de prévention collectives et individuelles identiques à celles retenues pour l'amiante (repérage, confinement, EPI, etc.). Même chose pour les déchets, même suivi médical.
- Envisager l'élargissement des tableaux de maladies professionnelles 30 et 30 bis aux FCR.
En d'autres termes retenir après exposition aux FCR les mêmes risques qu'après exposition à l'amiante.
Le texte ministériel (4) de 2003 indique qu'un rapport a été demandé à l'InVS et que deux études épidémiologiques ont été lancées. Concernant l'étude de morbidité chez les travailleurs exposés lors de l'utilisation des FCR, étude confiée à l'INRS, elle a échoué, faute d'une collaboration suffisante des industriels et en raison de la difficulté liée à la coexposition à l'amiante. Il est à craindre qu'il en soit de même pour l'étude cas-témoin confiée à l'Inserm.
Or il sera difficile d'obtenir une inscription des maladies liées aux FCR dans un tableau de maladies professionnelles sans une enquête épidémiologique probante en France ou à l'étranger. La solution est sans doute de reprendre les études sur la population des usines productrices de FCR, en sélectionnant les groupes dont l'exposition remonte au moins à 30 ou 40 ans, compte-tenu des faibles niveaux d'exposition. Mais encore faudra-t-il que l'enquête échappe à la main-mise patronale.
A ces différentes mesures il conviendrait d'ajouter par voie réglementaire, une obligation des producteurs et/ou importateurs d'effectuer des tests sur les fibres minérales mises sur le marché, tests à long terme (2 à 3 ans) en inhalation chez l'animal.
Devraient être en particulier étudiées les laines minérales haute température et les éventuelles nouvelles fibres haute température.
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A signaler qu'un texte réglementaire -non identifié mais récent- interdit toute commercialisation en direction du grand public de produits ou préparations contenant plus de 0,1% de FCR. Une fois de plus la réglementation concernant les risques des consommateurs apparaît beaucoup plus contraignante que celle du milieu de travail. Comme si la santé des uns ne comptait guère face à la santé des autres !
2ème trimestre 2003, pp. 5 à 28 (référence ND 2189-191-03).
(2) Voir en particulier un bilan dans Bunn et al. (1993) J.O.M. 35, 2, 101-113.
(3) Par exemple Carbowool chez Unifrax, Superwool 607 (1050°C) et 612 (1250°C) chez Thermal Ceramics.