article paru dans le site de VIVA magazine le 25 Mars 2009

 Santé au travail

La fondation Copernic lance une campagne contre « le travail qui tue en toute impunité »


 

Organisatrice, samedi dernier 21 Mars à Paris, d’un vaste forum-débat qui a rassemblé de nombreux acteurs sociaux (syndicalistes, médecins du travail, inspecteurs du travail), des chercheurs (sociologues, analystes du travail), des représentants de partis politiques, la Fondation Copernic [1] et la chercheuse Annie Thébaud-Mony ont appelé à amplifier l’appel « Travailler tue en toute impunité, pour combien de temps encore ? ». 

La santé des travailleurs, un "dommage collatéral" La Fondation Copernic fête, cette année, ses onze ans d’existence et continue à croiser les regards de syndicalistes, d’associatifs, de fonctionnaires et d’universitaires, pour – comme sa présidente, Caroline Mécary, avocate au barreau de Paris, le rappelle – « remettre à l’endroit ce que libéralisme fait fonctionner à l’envers » .

« Il n’est plus possible de laisser-faire et de laisser-taire quand des milliers de salariés sont confrontés au cynisme des entreprises qui prennent leur santé pour "dommage collatéral" », en bénéficiant toujours d’une grande mansuétude des tribunaux », dira en introduction Willy Pelletier, coordinateur de la fondation. 

Accidents, amiante, suicides liés au travail : 12 morts par jour en France

La journée a été ponctuée de nombreux témoignages, tel celui de Pascal Bianco, frère de Jérôme, salarié d’une plate-forme de nettoyage de vitres, décédé d’un accident du travail faute de garde-corps adaptés, et pour lequel la justice a fini par reconnaître les torts de l’employeur [2], Alain Guéguen (Technocentre Renault-Guyancourt), Philippe Billard (Association Sous-Traitance/Santé dans le nucléaire et la chimie) [3], Pascal Vitte (Observatoire du stress de France-Télécom), ou Gérard Voide (Collectif d’Aulnay contre l’amiante). Mais aussi nourrie de réflexions de nombreux professionnels en lien avec le monde du travail. 

C’est Annie Thébaud-Mony (chercheure Inserm), à l’initiative de cet appel avec la Fondation Copernic, qui, en préambule, rappelle des chiffres accablants : « Deux morts par jour par accident du travail, huit morts par jour dûs à des cancers de l’amiante, deux suicides par jour liés au travail ».

Egalement porte-parole de l’association Ban-Asbestos France, elle justifie ainsi son engagement pour cet appel : « Depuis une trentaine d’années, les crises économiques à répétition et tout ce qu’elles masquent, amènent à une remise en cause des droits fondamentaux, à commencer par celui de la vie. »

Pourquoi mettre la justice pénale en avant ? Pour la sociologue, il faut arrêter de banaliser les fautes des employeurs : « La justice pénale concerne aussi le monde du travail. » 

Le droit fonctionne à deux vitesses

Sylvie Catala, inspectrice du travail (Association L611-10) [4], affirme que « ce n’est pas la justice qui, aujourd’hui, fonctionne à deux vitesses en France, mais le droit tout entier ».

« Les délits en entreprise, rappelle-t-elle, ne sont pas du tout perçus au même niveau que les autres. Dans le droit pénal ordinaire, pour une mise en danger d’autrui c’est environ 150 000 euros d’amende. Le fautif est de surcroît passible d’une peine de prison. Dans le cas de salariés, le patron ne risque que 3 750 euros d’amende. Il y a deux poids, deux mesures. Le salarié n’est pas un citoyen à part entière. » 

Pour parfaire sa démonstration de différence de traitement, l’inspectrice du travail note aussi : « Le taux de classement des affaires, en droit du travail, est d’environ 30 %, alors que le taux global, dans la justice, est de 70 % ».

Un écart énorme qui vient du fait qu’en droit du travail, on connaît pratiquement toujours l’auteur du préjudice. Mais seulement 1 à 2 % de procès-verbaux (PV) pour infraction, en santé et sécurité au travail, sont dressés. « Pourquoi l’Inspection du travail est-elle peu répressive dans ce domaine ? », s’interroge Sylvie Catala.

 Des débats partout en France

Martine Billard (députée, Les Verts), Raquel Garrido (secrétaire nationale du Parti de Gauche, ancienne membre de la commission des normes à l’OIT) et Pierre Laurent (coordinateur de la direction nationale du PCF) sont venus apporter leur soutien à l’appel de Copernic.

Pierre Laurent, rappelant que son parti a déposé, fin 2007 au Sénat, un proposition de loi – non débattue, Ndlr – sur la santé au travail [5], estime que « cette campagne peut marquer parce que sur la santé au travail, ces dernières années, les choses ont avancé. Le scandale perce et peut percer encore plus fortement. » Il invite également à débattre du projet de loi déposé et, éventuellement, l’amender. 

La Fondation Copernic promet, elle, une campagne d’ampleur nationale avec l’organisation de débats régionaux. Avec la participation de tous ceux - associations, syndicats, organisations et partis - qui souhaiteront s’y associer. 

Anne-Marie Boulet

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 [1] Appel de la Fondation Copernic sur www.fondation-copernic.org 

[2] Lire : « Mon fils broyé dans une ?guerre sans nom », Le procès d’un accident mortel du travail, Accident du travail : jugement de l’affaire Bianco

 [3] Lire Création d’une association de défense de la santé des salariés de la sous-traitance, Comment vont les salariés du nucléaire ? Procès AZF : la sous-traitance et l’organisation du travail en cause. 

[4] Site association : www.l611-10.org 

[5] A consulter sur www.senat.fr