les évolutions plutôt favorables de la justice italienne pouvant conduire – enfin ! - au procès de Turin contre Eternit
Le secret sur l'amiante est levé.

Article de Loris Campetti, (area 9.11.2007)

 

Il aura fallu de nombreuses années noircies par le cours (et recours) de deux justices, la suisse et l'italienne. Mais à la fin la décision , on espère finale, est tombée : le Département fédéral de justice et police a ordonné à la Suva - l'institution suisse qui s'occupe de l'indemnisation des maladies professionnelles et qui est en même temps l'organe chargé du contrôle et de la certification de l'innocuité des environnements professionnels - l'envoi au procureur turinois Raffaele Guariniello de toute la documentation relative à 196 employés jusqu'aux années nonante (90) dans les entreprises Eternit de Niederurnen et Payerne. Des ouvriers victimes de l'amiante comme des milliers d'autres de part le monde tués par mésothéliome et cancer du poumon. Maintenant la Suva ne pourra plus se cacher derrière des raisons de " sécurité nationale " et n'a plus que 30 jours pour envoyer aux magistrats italiens la documentation demandée, ce qui relancera la partie de l'enquête relative aux ouvriers italiens tués à l'étrangers par Eternit. Et ses patrons, avec à leur tête la puissante famille Schmidheiny.

Il ne s'agit pas de la seule bonne nouvelle pour le Dr Guariniello qui conduit une enquête qui a été divisée en deux tranches : la première, l'italienne, est terminée et a débouché sur la requête de procéder contre les frères Stephan et Thomas Schmidheiny et leur associé belge, le baron Louis Cartier de la Marchienne, pour les délits d'omission fautive de sécurité et désastre fautif. Cela concerne 2'962 travailleurs, dont plus de deux-milles sont déjà morts à la suite des maladies contractées. On attend maintenant l'arrêt de mise en accusation par la procure de Turin. La deuxième tranche concerne les travailleurs italiens décédés - ou qui ont contracté le mésothéliome - dans les établissements suisses et belges d'Eternit. La décision helvétique permettra à cette partie de l'enquête de redémarrer avec vigueur.

La deuxième bonne nouvelle est italienne. Après le traumatisme causé par la décision du ministre garde des sceaux Clemente Mastella d'élargir les bénéfices des remises de peine (Indulto) aux délits causant dommage aux travailleurs, grâce au " paquet Damiano sur la sécurité au travail ", entré en vigueur au mois d'août, il sera possible d'appliquer à ce type de délits la normative de 2001 qui prévoit l'applicabilité de la responsabilité civile dans les procès pénaux non seulement aux individus mais aussi aux entreprises. Cette normative permet d'inscrire aux registre des accusés les sociétés impliquées ce qui a pour conséquence que le décès d'un inculpé ne peut plus fermer le procès.

En s'appuyant sur le " paquet Damiano ", le procureur de Turin Raffaele Guariniello, a pu ouvrir une enquête sur quatre entreprises Eternit suisses et belges. Elles risquent, parmi d'autres condamnations, des amendes allant jusqu'à un million et demi d'euros. C'est la première fois que cette nouvelle normative est appliquée en Italie dans un procès contre des responsables de morts et de dommages à la santé des travailleurs. Cette normative naturellement n'a pas d'effet rétroactif et permettra au magistrat turinois d'enquêter sur les décès intervenus après le 25 août de cette année, au total une douzaine. Les raisons de l'opposition acharnée de la Suva à collaborer avec la justice italienne sont probablement à rechercher dans la particularité de la Caisse nationale d'assurance contre les accidents à qui est attribué aussi la fonction de contrôle et certification de l'innocuité des conditions de travail : au cas où des manquements et retards dans le cas d'Eternit, il est évident que la Suva ne pourrait pas se déclarer étrangère à l'affaire, donc innocente. Si de nouveaux bâtons ne seront pas enfilés dans les roues de la justice italienne, le procès pourrait s'ouvrir assez rapidement. Pourtant la famille Schmidheiny a tout essayé pour éviter de subir un procès et peut-être une condamnation. On parle d'une famille très puissante, capable de manœuvrer aisément dans les milieux politiques et juridiques de nombreux pays d'Europe et d'Amérique latine dans lesquels exercent ses entreprises. Au début du gouvernement Prodi, par exemple, un des nombreux avocats des Schmidheiny était Carlo Malinconico, secrétaire à la présidence du gouvernement. C'est finalement pendant les jours de l'Indulto, qui s'est vérifié très utile aux enquêtés suisses d'Eternit, que Malinconico renonce à s'occuper des affaires de la famille. Beaucoup a été dit et écrit sur son rôle présupposé dans la décision du gouvernement italien, et par la suite du parlement, d'étendre le bénéfice des remises de peine aux délits du travail, décision contestée par les syndicats. Mais il ne s'agit que de conjectures. Avant l'Indulto, les représentants des victimes de l'amiante et ceux des frères Schmidheiny étaient très près d'un accord sur le dédommagement aux parents des travailleurs décédés. Au moment de la signature, le professeur de droit commercial de Zurich qui représentait les intérêts de l'entreprise demanda quelques minutes pour s'entretenir par téléphone avec ses clients, juste un petit coup de fil. Le petit coup de fil dura une heure et demie, au terme duquel l'avocat avoua à ses collègues de la partie adverse que la charge lui avait été retirée. Qu'est-ce qui s'est passé pendant ce temps ? C'est que dans la péninsule avaient été décidé les limites de l'Indulto, qui auraient permis aux Schmidheiny de faire l'économie des dédommagements (voir area no. 39 du 29 septembre 2006, www.area7.ch). Mais les choses ont pris une autre tournure et la partie Eternit reprend.

A la procure de Turin on respire un air d'optimisme. Et naturellement l'espoir s'est un peu renforcé aussi à l'Association des familles des victimes de l'amiante, soutenue par la confédération syndicale Cgil. L'association est en train d'élargir son action de Casale Monferrato à toute l'Europe, comme nous l'explique l'avocat Sergio Bonetto : "Le 14 novembre nous tiendrons une assemblée à Casale Monferrato avec des représentants des établissements Eternit de toute l'Europe. Le réseau " Eternit in collera " qui vient de se constituer se fera entendre dès l'ouverture du procès. Un deuxième rendez-vous est fixé avec le syndicat allemand Dgb le 10 décembre à Berlin, justement là où il y avait le " lager Eternit " dans lequel des prisonniers de guerre italiens, ukrainiens et polonais étaient obligés de travailler. Nous préparons le lancement d'un appel pour retrouver les parents des prisonniers qui ont travaillé dans ce lager ".