II - Pollution de l'environnement par
l'amiante
Mésothéliomes
et plaques pleurales
Il est maintenant
totalement admis qu'il existe une relation entre la
pollution de l'environnement par l'amiante et
l'apparition d'un excès de
mésothéliomes et de plaques pleurales dans
les populations concernées. Il doit exister
également un excès en cancers du poumon
mais plus difficile à mettre en évidence en
raison des multiples autres expositions
générant cette pathologie. Aussi les
études se focalisent-elles essentiellement sur les
mésothéliomes comme témoins des
effets toxiques de l'amiante, même pour de faibles
niveaux d'exposition .
Nous emprunterons
à Messieurs Pinto et Soffritti ainsi qu'au
professeur Maltoni, mondialement connu pour ses travaux
sur la cancérogenèse, une réflexion
préalable sur l'origine des
mésothéliomes (1) : " Puisque le
mésothéliome est rare, et en raison de la
relation causale entre amiante et
mésothéliome, ce type de cancer a
été considéré comme un
événement pathologique " sentinelle "
témoignant de l'exposition à l'amiante. Il
y a cependant une fraction des cas de
mésothéliomes dans lesquels l'exposition
à l'amiante n'a pas été mise en
évidence. Pour ces cas, il existe une tendance
à considérer -chez beaucoup- qu'il s'agit
d'une origine spontanée. C'est une erreur car une
origine non prouvée (inconnue) n'est pas synonyme
d'une origine spontanée. En fait des causes
réelles peuvent rester inconnues si elles ne sont
pas recherchées avec diligence,
spécifiquement et systématiquement
".
L'expérience
vécue par les associations prouve effectivement
que tout est dans la qualité de l'enquête.
Bien que nous ayons eu à connaître
maintenant plus d'une centaine de cas de
mésothéliome, il n'y a aucun cas où
il n'existe au minimum une forte suspicion d'exposition
à l'amiante.
Dans la très
grande majorité des cas l'exposition a
été professionnelle ou para
professionnelles (par exemple pour les épouses des
travailleurs exposés), et dans une faible
minorité elle relève de l'environnement.
Dans ce dernier cas il est exact que parfois on reste
surpris du niveau faible et du temps relativement court
de l'exposition.
Certes il est des
publications où des médecins -très
mal informés des conditions de travail en milieu
industriel- vont jusqu'à annoncer 20 à 30%
de causes inconnues, mais, dans les études parues
(2), la proportion de cas où la causalité
amiante est établie va jusqu'à 95% et
même 99% des cas, lorsque par exemple la recherche
va jusqu'à l'examen en microscopie
électronique des pièces biologiques
prélevées en milieu pulmonaire.
Données sur les mésothéliomes dus
aux pollutions de l'environnement :
Dès la
première enquête conséquente sur les
mésothéliomes, en 1960, par Wagner, il
apparaissait que 13 des 33 victimes n'étaient pas
exposées professionnellement (3, 4). A partir des
mêmes populations, trois ans plus tard, Wagner
rapportait plus de 120 cas de
mésothéliomes, plus de la moitié
n'ayant jamais travaillé à la mine
d'amiante, et étant victimes de la pollution de
l'environnement (3). Wagner fit également
remarquer dès cette époque qu'il n'y avait
pas de corrélation entre l'atteinte par fibrose
pulmonaire (asbestose), directement fonction de
l'exposition cumulée à l'amiante, et
l'atteinte par mésothéliome. En d'autres
termes le mésothéliome pouvait
apparaître même après de faibles
expositions.
Depuis ces dates, de
très nombreuses études ont confirmé
que des doses faibles à moyennes, reçues en
milieu environnemental suffisaient à induire des
mésothéliomes. Ce fut le cas de
l'étude de Magnani et al., en 1993 (5), concernant
les cas de mésothéliomes recensés
pendant 10 ans dans une petite ville (Casale) et ses
faubourgs en Italie du Nord. La ville avait dans le
passé abrité une usine d'amiante ciment.
Presque 2/3 des 93 victimes de
mésothéliomes n'avaient été
exposées que dans l'environnement de l'usine et
trois des victimes étaient mariées à
des ouvriers de l'usine. Une étude évalue
à 1 km le rayon de la zone la plus
contaminée autour de l'usine.
Ces études
rejoignent celle de Bohlig et Hain
présentée en 1972 lors d'une
conférence tenue au Centre international de
recherche sur le cancer (6). Les auteurs produisaient en
particulier une carte de Hambourg localisant les
résidences de 38 personnes atteintes de
mésothéliome, sans exposition
professionnelle, dans un rayon d'environ 1,5 km autour
d'une usine travaillant l'amiante.
Enfin le rapport de
l'INSERM de 1997 consacré aux effets sur la
santé des principaux types d'exposition à
l'amiante, inclut un chapitre intitulé "
Expositions environnementales d'origine
industrielle " (7). On y retrouve les exemples
ci-dessus évoqués ainsi qu'un certain
nombre d'études " indiquant de façon
claire, la possibilité d'un risque de cancer,
notamment de mésothéliome pleural,
associé à une exposition de voisinage
à proximité d'une source industrielle
d'amiante ".
Très
récemment a été annoncée la
publication prochaine d'une étude menée par
une équipe américaine (8) mettant en
évidence une association entre le fait de vivre
près d'une source naturelle d'amiante et le risque
de développer un mésothéliome Les
chercheurs ont comparé les données de 2908
cas de mésothéliomes déclarés
entre 1988 et 1997 avec les cartes géologiques du
Nord et du centre de la Californie, permettant de
recenser les affleurements de roches pouvant contenir de
l'amiante. Ils ont ainsi découvert que la
probabilité de développer un
mésothéliome est directement
proportionnelle à la distance entre son lieu de
résidence et la plus proche source d'amiante
naturelle.
On doit y ajouter les
travaux de Rey et al. (9), concernant la pollution par
l'amiante de la Corse du Nord-Est (indépendamment
de la mine de Canari), provenant d'affleurements de
roches amiantifères. Le taux de
mésothéliomes dans cette zone est nettement
supérieur à la moyenne nationale (voir sur
le même site Internet l'étude
consacrée à la situation en Haute-Corse).
.Même scénario pour l'excès de
mésothéliome en Nouvelle
Calédonie.
Enfin on peut maintenant
ajouter le cas du site universitaire de Jussieu où
ont été repérés au moins
quatre ou cinq cas de mésothéliome sans
exposition significative d'ordre professionnel, ainsi
qu'une centaine de cas de fibrose, essentiellement
pleurale, soit les deux pathologies
caractéristiques d'une pollution par
l'amiante.
Toutes ces études
portant sur des cas de pollution environnementale
convergent pour associer à cette pollution des
excès de mésothéliomes et,
lorsqu'ils ont été étudiés,
des excès de plaques pleurales.
Contamination de l'air due au contenu naturel des sols
en amiante :
Indépendamment
des zones en Californie, évoquées
ci-dessus, un certain nombre de régions ont
été repérées avec un
excès significatif de pathologies asbestosiques en
relation avec la contamination des sols, en Afghanistan,
à Chypre, en Corse, en Nouvelle Calédonie,
en Grèce, dans le Piémont et la Basilicata
(Italie), dans deux régions de Turquie, dans une
région en Chine et une en Bulgarie. Dans les
régions citées ci-dessus, les victimes sont
essentiellement des paysans.
Les deux régions
qui semblent le plus lourdement touchées sont
situées en Chine où la contamination est
due à la présence de crocidolite, et en
Turquie avec des contaminations par la trémolite
et l'érionite (une zéolithe fibreuse
n'appartenant pas à la famille des amiantes). En
certaines localités de Turquie et de Nouvelle
Calédonie, à la contamination par les sols,
fonction du vent et des travaux, s'ajoute une
contamination due à l'utilisation de certains de
ces minéraux dans des badigeons appliqués
sur des murs, à l'intérieur et à
l'extérieur des habitations.
Contamination de l'air due au voisinage de sites
d'extraction d'amiante ou de roches contenant de l'amiante
:
Diverses
publications peuvent être citées relatives
à des sites miniers ou des carrières en
Australie, au Québec, aux USA, en Finlande, en
Corse, au Japon, en Grèce, en Sicile, à
Chypre, en Afrique du Sud et en Russie.
Concernant la Corse,
indépendamment de la pollution due à la
contamination des sols dans le Nord-Est de l'île,
on est toujours en attente d'une étude portant sur
le site minier de Canari, avec recensement des victimes
du milieu de travail et de l'environnement.
Contamination de l'air due au voisinage d'une
industrie transformant ou utilisant l'amiante, ou au
voisinage d'un chantier naval :
Des études
mettant en cause le voisinage d'industries transformant
l'amiante ont été publiées sur huit
pays (Allemagne, Danemark, Croatie, Taïwan, USA,
Italie, Iran, Grande-Bretagne). La France brille par son
absence d'études, bien que l'existence de victimes
environnementales dans la région de Condé
sur Noireau, berceau de l'industrie de l'amiante, soit
bien connue.
Des enquêtes au
voisinage de chantiers naval ont eu lieu dans cinq pays
(Allemagne, Italie, Japon, Pays-Bas et Ecosse). Rien en
France où pourtant le nombre de victimes
professionnelles dans les chantiers navals est
considérable.
Contamination de l'air par " l'amiante en place " dans
certains immeubles :
Il faut citer la
publication d'Anderson (10) portant sur 487 cas de
mésothéliomes recensés entre 1959 et
1989 dans l'Etat du Wisconsin (USA). L'étude de
l'ensemble des cas fait apparaître 10 cas parmi du
personnel de maintenance d'écoles floquées
à l'amiante, et 9 cas d'enseignants dans le
même type d'école, sans autres expositions
connues à l'amiante pour ces deux groupes.
Même si pour l'instant il n'y a pas de publication
dans une grande revue scientifique il faut cependant
-dans ce cadre- citer également le problème
du Centre Universitaire Jussieu à Paris,
déjà abordé ci-dessus.
Données sur les niveaux de pollution de type
familial ou environnemental :
Il y a peu
d'études sur ces pollutions, si l'on excepte les
pollutions dans ou au voisinage des immeubles
floqués à l'amiante. Nicholson a cependant
mesuré le niveau de pollution de certains
logements occupés par des travailleurs de
l'amiante, ainsi que le niveau de pollution au voisinage
d'entreprises.
Les valeurs obtenues sont données dans
l'article de Sébastien et al. de 1976 (11). Les
auteurs y fournissent également le résultat
de leurs propres mesures au voisinage d'une usine
d'amiante, et, dans un autre article (12), ils
précisent qu'ils ont en particulier fait des
mesures au voisinage d'une usine de Normandie. Les
valeurs données en (11) sont fournies en
nanogrammes par mètre cube d'air. Il est admis
(dans ces domaines de concentration) que 2 nanogrammes
par m3 d'air (2ng/m3) sont équivalents à
une fibre (de longueur supérieure à 5
microns) par litre d'air, ce qui nous donne :
- au voisinage d'une usine d'amiante :
selon Nicholson : 0,005 à 2,5 fibres
par millilitre d'air,
selon Sébastien : 0,5 à 1,5 fibres
par millilitre.
à comparer à la valeur maxima admise
actuellement en milieu industriel, soit 0,1 fibre par
millilitre.
- au domicile des ouvriers de l'amiante :
de 0,005 à 2,5 fibres par millilitre.
Il est évident
que la fourchette de résultats est très
large, selon la direction du vent, le jour de la mesure,
la proximité de l'usine, les conditions de
logement, le degré de pollution des
vêtements, etc..
Nous devons signaler
également un rapport d'étude daté du
9 février 1978 et rapportant le résultat de
numération de fibres d'amiante dans l'air au
voisinage de trois usines aux environs de
Condé-sur-Noireau en Normandie, rapport
signé par Messieurs Lefèvre et Le Bouffant
du Centre d'études et de recherches des
charbonnages de France (13). Les résultats
à prendre en compte sont ceux provenant d'un
examen en microscopie électronique. Au lieu dit "
La Varende " à environ 300-400 mètres de
l'usine de Condé, le nombre de fibres
observées au microscope électronique, de
longueur supérieure à 5 microns, varie
entre 0,5 fibre par millilitre à environ 1,3
fibres par millilitre si l'on considère avec les
auteurs que les " faisceaux " contiennent une dizaine de
fibres. Quant aux fibres plus courtes (inférieures
à une longueur de 5 microns), au même lieu,
elles varient en concentration, de 0,6 fibres à
plus de 2 fibres par millilitre. Et ce sont ces fibres
courtes qui, après inhalation, se retrouvent le
plus rapidement dans le tissu pleural.
Il s'agit là de
niveaux de pollution largement suffisant pour
générer des
mésothéliomes.
Pollution et charge pulmonaire en amiante :
En milieu urbain
en Europe, la concentration de fibres d'amiante dans
l'air, de plus de 5 microns de longueur est de l'ordre de
100 fibres par m3 ou moins, soit 0,0001 fibre par
millilitre d'air ou 0,1 fibre par litre (14).
Une telle pollution
urbaine peut sembler faible ; elle n'est cependant pas
négligeable d'autant que seules sont
comptées les grandes fibres, et que les fibres, en
milieu pulmonaire -surtout les fibres de chrysotile qui
constituent l'essentiel de la pollution- vont se cliver
parallèlement à leur longueur pour donner
un nombre considérablement plus important de
fibres de plus petit diamètre. Il faut savoir en
effet que les fibres de chrysotile sont des " fagots " de
fibrilles élémentaires parallèles
les unes aux autres et faiblement liées entre
elles Ces fibrilles élémentaires ont un
diamètre de 25 nm (nanomètre soit un
milliardième de mètre). On est alors dans
le domaine des nanoparticules, objet actuellement de
nombreuses discussions tant pour leurs
propriétés technologiques que pour les
risques qu'ils peuvent entraîner.
Une telle finesse du
diamètre des fibrilles a pour conséquence
qu'un seul gramme de chrysotile (soit sans doute 98% de
l'amiante polluant le milieu urbain) est capable de
libérer 100.000 milliards de fibrilles
élémentaires ! D'où, depuis les
années 70 la constatation que " des fibres
d'amiante peuvent être trouvées dans les
poumons de presque toutes les personnes ", selon le bilan
en l'an 2000 de la Société
Européenne de Pneumologie (15) ; On peut
même dire de tout adulte en milieu urbain Et les
quantités trouvées sont très loin
d'être négligeables.
Aujourd'hui aux USA par
exemple il est admis, en population non exposée ni
professionnellement ni dans une zone à pollution
environnementale spécifique, que le nombre moyen
de fibres d'amiante, toutes longueurs, dans un gramme de
poumon sec, est de l'ordre de 400.000 à 500.000
(16). En Europe (15) la limite supérieure des
valeurs trouvées pour la charge pulmonaire des
personnes vivant en milieu urbain non spécialement
exposé, varie selon les études, de 4
millions à 17 millions de fibres par gramme de
tissu pulmonaire sec !
Dans la plèvre,
saine, les concentrations trouvées sont du
même ordre de grandeur. En cas de
mésothéliome, les valeurs trouvées
varient selon les auteurs et selon les victimes.
Récemment une équipe américaine (16)
avançait une moyenne de l'ordre de 50 millions de
fibres par gramme de tissu sec (plèvre et
poumons), les victimes n'ayant en milieu pleural que du
chrysotile constituant le groupe le plus nombreux, et
ceci malgré le fait que le chrysotile est plus
aisément épurée des milieux
pulmonaire et pleural que les amphiboles
Henri Pezerat - Juin 2006
Bibliographie :
(1) Pinto,
Soffritti and Maltoni, Med Lav. 1995, 86, 5 :
484-489.
(2) Pezerat, Arch.
Mal. Prof.. 1995, 56, 5, 374-384.
(3) Selikoff and
Lee, In : "Asbestos and Disease. Academic Press". 1978,
pp. 30, 173, 222-223, 288, 293.
(4) Wagner, Sleggs
and Marchand, Brit . J.. Ind. Med, 1960, 17,
260-270.
(5) Magnani et
al., Eur. Respir. Rev. 1993, 3, 11, 105-107.
(6) Bohlig and
Hain, In : "Biological Effects of Asbestos". IARC Scient.
Publ. n°8, 1973, 217-221.
(7) INSERM,
Rapport : " Effets sur la santé des principaux
types d'exposition à l'amiante ". 1997, pp.
130-140.
(8)
http://www.eurekalert.org/pub_releases/2005-07/uocd-noa071205.php
(9) Rey et al.,
Rev. Mal. Resp. 1993, 10, 339-345.
(10) Anderson et
al., Environ. Res. 1992, 59, 159-166.
(11)
Sébastien et al., Rev. Fr. Mal. Resp. 1976, Sup 2,
t 4, 51-62.
(12)
Sébastien et al., Annals N. Y. Acad. Sciences.
1979, 330, 401-415.
(13) Le Bouffant,
Lefevre, Rapport CERCHAR. 1976, PNO-JPH /AMC,
17p..
(14) Schneider et
al., Scand J Work Environ Health. 1996, 22 :
274-84.
(15) European
Respiratory Society, Rapport groupe de travail. In : DMT,
INRS, 2000, 81, 3-19.
(16) Suzuki., Yuen
and Ashley. 2006. E-mail :
yasunosuke.suzuki@mssm.edu
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